«Les acteurs de la finance doivent appliquer les Swiss Climate Scores et les utiliser pour mettre en place des pratiques exemplaires»

27/10/2022

Olivier Toublan

Immoday

5 min

 

Le terme ESG qui signifie «environnement, social et gouvernance» est sur toutes les lèvres dans le secteur immobilier. Marco Chinni, CEO et associé de Primecoach AG mais aussi responsable du groupe de travail ESG chez Coptis, est un spécialiste du domaine.
 

Lors d’un entretien, il s’exprime sur les stratégies ESG, sur les défis qu’elles représentent, et sur l’aide qu’apporte le guide pratique créé par son groupe de travail. Il revient aussi largement sur les «Swiss Climate Scores» instaurés par le Conseil fédéral, et explique pourquoi Primecoach salue cette initiative.

 

Monsieur Chinni, Primecoach s’est depuis longtemps saisie du thème ESG. Vous êtes aussi responsable du groupe de travail ad hoc chez COPTIS. Quels services Primecoach livre-t-elle dans le domaine ESG?

 

Nous nous sommes saisis du thème ESG il y a longtemps, car nous avons toujours été persuadés que la finance durable représentait un levier fondamental pour la transition de l’économie. Alors qu’on ne parlait même pas encore de l’ESG comme d’un thème déterminant, nous nous sommes penchés sur le thème de la gouvernance.

 

Notre éventail de services ne fait que s’élargir, car de nos jours la tendance ESG n’est plus une mode, mais constitue un changement de paradigme. Le réchauffement de la planète et ses dommages visibles nous obligent à nous poser la question de la responsabilité à endosser et de la manière dont le secteur financier peut contribuer à faire bouger vraiment les choses.

 

Et c’est une question qu’il est urgent de se poser...

 

Cela va de soi. Plus les entreprises intégreront ce changement de paradigme dans leurs modèles d’affaires, plus elles auront de chances d’être encore compétitives demain.

 

- Nous aidons les entreprises à mettre en œuvre massivement des mesures ESG: définition d’une stratégie propre, sa mise en œuvre étendue, vérification indépendante et rapports détaillés à usage interne, sensibilisation du personnel, règlements, soutien de la technologie, formations adaptées aux besoins, et bien d’autres.

 

- En outre, et comme le domaine de la finance durable évolue sans cesse, nous aidons nos clients à surfer sur les vagues de normes, recommandations et réglementations innombrables et à trouver les meilleures solutions pour leur entreprise.

 

  • - Dans leur démarche ESG, les entreprises qui réussissent misent massivement sur leur stratégie, sur sa mise en œuvre logique, sur une communication linéaire et sur sa représentation cohérente dans les comptes rendus. Nous les assistons dans leurs mesures de communication, dans l’élaboration des rapports CSR et des comptes rendus réglementaires, et dans bien d’autres activités.

 

Que doit comprendre une stratégie ESG d’entreprise de titrisation immobilière?

 

Ces dernières années, le secteur immobilier a fait d’énormes efforts pour améliorer sa transparence et sa performance ESG. Il a pris de nombreuses mesures pour réagir à la crise climatique actuelle. Nous pensons que la titrisation immobilière fait partie des domaines qui possèdent le plus gros potentiel d’efficacité dans l’application réussie des approches de durabilité, parce qu’ici, avec la bonne stratégie, il est possible d’obtenir des effets directs et vérifiables.

 

Où se situent les obstacles?

 

Pour maîtriser l’ampleur des défis et mener le combat pour une économie décarbonée (le secteur immobilier est responsable de 35% à 40% des émissions mondiales de gaz à effet de serre et d’un tiers des émissions suisses), les entreprises doivent placer le thème de la durabilité au cœur de leurs processus opérationnels en se concentrant sur les décisions qui ont le plus d’impact et sur les mécanismes de mise en œuvre conformes ESG.

 

Dans le secteur immobilier, la stratégie ESG doit par ailleurs être systématiquement mise en œuvre à trois niveaux:

 

  • - Au niveau du gestionnaire de fortune
     

  • - Au niveau des portefeuilles dont l’entreprise est responsable ou que l’entreprise gère (fonds, fondations de placement, produits structurés, etc.)
     

  • - Au niveau des placements immobiliers

 

L’approche adoptée pour l’orientation stratégique et sa mise en œuvre dans l’entreprise peut varier selon le niveau, mais le dialogue entre les trois niveaux est fondamental pour définir et appliquer des stratégies ESG cohérentes.

 

Quelle aide apporte à cet égard le guide pratique que vous avez créé avec le groupe de travail ESG de Coptis?

 

J’aimerais d’abord souligner le fait que Coptis a très tôt reconnu l’importance stratégique du thème ESG pour le secteur immobilier, car ce dernier génère à lui seul 35 à 40% des émissions de GES. En incitant l’ensemble des acteurs du secteur, il est possible d’apporter une contribution durable. Étant donné l’importance du sujet, Coptis a mis sur pied un groupe de travail ESG, auquel la Banque Cantonale Vaudoise (BCV) apporte un soutien essentiel.   

 

Ce groupe de travail a élaboré un guide rempli de propositions et de solutions sur le thème ESG, et Coptis recommande à ses membres de s’appuyer dessus pour mettre en œuvre leur politique de développement durable. Ce guide couvre les thèmes de la gouvernance, de la formation, de la transparence, des critères d’évaluation et de l’engagement. Les recommandations sont régulièrement réexaminées et si nécessaire, adaptées aux nouvelles évolutions.

 

La mise en œuvre de la stratégie implique la prise en compte de nombreuses exigences réglementaires. Parmi ces exigences, lesquelles sont évoquées ces temps-ci?

 

Les nouvelles règles relatives au marché cible («Target Market») de la MiFID entreront en vigueur le 22 novembre prochain. Ces règles européennes exigent des promoteurs de fonds qu’ils réclament davantage d’informations aux émetteurs de fonds afin que les critères ESG du marché cible soient pris en compte.

 

De nombreuses questions restent en outre à résoudre sur:

 

  • - L’applicabilité de ces règles en Suisse. En Suisse, la LSFin ne prévoit pas ce type de règles, mais elles sont de facto appliquées contractuellement entre les émetteurs de fonds et les distributeurs.

 

  • - La mise en œuvre et les meilleures pratiques concernant l’EET, le European ESG Template.

 

  • - La conception des fonds à impact, notamment la mesurabilité des objectifs et des impacts, ainsi que les exigences de transparence vis-à-vis des investisseurs.

 

Quel rôle jouent la crédibilité et la transparence du reporting?

 

La transparence du reporting est déterminante pour faire aux investisseurs le récit de la création de valeur de l’entreprise et gagner ainsi leur confiance.

 

La confiance est la condition préalable pour banaliser un peu plus les prestations financières durables et ne peut être atteinte que par une transparence systématique. Si la stratégie de durabilité est clairement définie dès le début, rien de devra être caché par la suite dans la communication.

 

En ce qui concerne la transparence, les «Swiss Climate Scores», lancés fin juin par le Conseil fédéral, s’appliquent aussi aux placements financiers. De quoi s’agit-il exactement?

 

Avec les SCS, le Conseil fédéral poursuit l’objectif de donner aux investisseurs des informations fiables et comparables sur la compatibilité de leurs placements financiers aux objectifs climatiques internationaux. La Suisse adhère ainsi officiellement à ces objectifs. Ce faisant, elle regarde moins vers le passé, comme ce fut peut-être le cas pour le SFDR, mais en direction d’une évolution positive vers un avenir durable.

 

Le Conseil fédéral recommande l’application des SCS aux portefeuilles en actions et en obligations, et offre ainsi aux investisseurs une nouvelle possibilité de comparaison. Nous étudions actuellement dans quelle mesure l’application de ces scores aux portefeuilles immobiliers est judicieuse et quelle valeur ajoutée cela peut représenter pour les investisseurs.

 

Ces scores sont-ils indispensables? Dit de manière plus directe, qu’en pensez-vous?

 

Oui, et nous saluons cette initiative pour les raisons suivantes:

 

  • - Le cadre apporte de la transparence à l’investisseur. Comme je l’ai déjà mentionné, cette transparence est fondamentale pour gagner la confiance des investisseurs, pour leur permettre de prendre des décisions éclairées et pour garantir le développement de la finance durable.

 

  • - En appliquant ce cadre à tous les produits et portefeuilles financiers, on contribue à renforcer l’égalité des chances entre les établissements financiers.

 

  • - En outre, le Conseil fédéral publie des indicateurs pour éviter le greenwashing – un problème qui reste d’actualité.

 

  • - Enfin, les SCS ne créent pas de nouvelles règles, mais sont basées sur des normes internationales déjà connues.

 

Nous sommes convaincus de l’intérêt des SCS et recommandons leur utilisation, même s’ils n’ont pas de caractère contraignant, pour les raisons suivantes:

 

  • - Ils répondent à l’attente des investisseurs qui souhaitent que leur investissement ait un impact et ils contiennent les informations sur l’impact de l’investissement sur les objectifs climatiques mondiaux.

 

  • - Ils permettent aux entreprises de mieux gérer leurs risques climatiques et cela engendre en plus une diminution de leurs coûts.

 

  • - Ils permettent aux établissements de développer leur pratique et de mieux anticiper les futures évolutions réglementaires.

 

Quels indicateurs sont censés fournir une base de comparaison pour la compatibilité climatique?

 

En sachant que les méthodes de calcul de l’adaptation des portefeuilles à l’accord de Paris sur le climat sont encore très variées, le Conseil fédéral a opté pour 6 indicateurs afin d’éviter le greenwashing qui serait encore possible avec l’utilisation d’un seul indicateur.

 

Ces indicateurs sont très concrets et permettent de comparer la compatibilité climatique. Aujourd’hui, ces informations sont disséminées à plusieurs endroits dans la documentation des produits financiers ou n’y apparaissent même pas.

 

Ces six indicateurs sont les suivants:

 

1. L’intensité GES et l’empreinte carbone du portefeuille

2. La part des entreprises, dans le portefeuille, dont les activités sont liées au charbon et à d’autres combustibles fossiles.

3. La part des entreprises, dans le portefeuille, ayant un engagement de zéro émission nette vérifié et des objectifs intermédiaires crédibles.

4. Une stratégie pour réduire les émissions de GES des investissements. Un engagement vérifié de zéro émission nette.

5. La part des entreprises, dans le portefeuille, avec lesquelles un dialogue est entrepris sur le climat. Le soutien aux accords climatiques. L’adhésion à une initiative d’engagement pour le climat.

6. L’importance du réchauffement climatique si l’économie mondiale agissait avec la même ambition que les entreprises du portefeuille.

 

La Suisse suit-elle un chemin différent dans ce domaine, ou ces scores sont-ils comparables au règlement taxonomie de l’UE?

 

Les climate scores anticipent en créant de la transparence sur l’atteinte future des objectifs climatiques.

 

L’approche choisie soutient la transition économique. La Suisse ne fait pas la distinction entre les entreprises vertes et les autres, opérée habituellement et difficilement par l’UE. Elle souligne donc les efforts fournis pour réduire les émissions et se conformer aux objectifs mondiaux. Nous trouvons cette approche très pragmatique.

 

Qui plus est, l’initiative du Conseil fédéral crée un instrument de transparence simple pour les investisseurs au niveau du produit, mais aussi du portefeuille.

 

Vous recommandez l’utilisation des scores. Pouvons-nous encore nous permettre aujourd’hui d’agir sans qu’ils soient contraignants?

 

Nous soutenons l’approche de la politique fédérale dans le domaine de la finance durable, qui repose sur le principe de subsidiarité. Le législateur doit uniquement garantir le fonctionnement optimal des marchés, la prise en compte des impacts à long terme et le développement des meilleures pratiques et de l’autorégulation. Évidemment, les investisseurs doivent pouvoir être sûrs que les produits ESG sont réellement ESG.

 

Le secteur financier a souvent agi de lui-même avec efficacité. L’autorégulation offre une certaine souplesse, se base sur des connaissances spécialisées, est rapide à mettre en œuvre, a des avantages en termes de coût et jouit d’une large acceptation parmi les concernés. Qui plus est, l’échange constant entre un responsable d’autorégulation et les autorités de surveillance peut contribuer à améliorer la qualité des réglementations.

 

Notre message à l’attention du secteur est clair: comme les normes internationales sur les impacts climatiques évoluent et prennent rapidement de l’épaisseur, tous les acteurs suisses de la finance devraient s’y mettre et appliquer les SCS et, à partir de là, développer leurs meilleures pratiques. Il en va de leur compétitivité internationale, de la position durable de la Suisse en tant que place financière de premier plan et de leur responsabilité sociétale.

 

Olivier Toublan, Immoday

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