Les parcs immobiliers face aux défis de la durabilité

12/10/2022

Emanuel Von Graffenried

CBRE

5 min

 

Dans un contexte de marché influencé par les changements climatiques, CBRE, leader mondial en conseil immobilier, s’interroge sur les enjeux auxquels sont confrontés leurs clients, ainsi que sur la manière dont ils font face à ces nouveaux défis. Après leur panel talk organisé avec l’association ULI sur « les acteurs de l’immobilier face aux enjeux et défis de la durabilité ? », ils souhaitent aujourd’hui connaitre la position de l’un de leurs clients.  
 

Rencontre avec Pascal Kuchen, directeur général et Jean-Bernard Georges, directeur des investissements de la Collective de Prévoyance - COPRÉ. Une discussion animée par Sophie Marée, directrice, et Emanuel von Graffenried, directeur associé du département Building Consultancy.   

 

Emanuel Von Graffenried (EVG) : Pourriez-vous commencer par nous présenter La Collective de prévoyance COPRÉ ?
 

Pascal Kuchen (PK) : La Collective de prévoyance COPRÉ n’est pas une caisse de pension propre, mais une fondation collective affiliant actuellement plus de 1'100 entreprises, qui a été créée en 1974 par la Banque populaire. Depuis 2018, nous avons internalisé l’ensemble de nos activités soit la gestion administrative des affaires de prévoyance professionnelle, les investissements, les finances, la comptabilité, ainsi que la partie commerciale.
 

Notre fondation travaille sur l’ensemble du territoire suisse où nous couvrons tous les secteurs d’activité. Nous sommes animés par quatre valeurs fondamentales qui sont l’indépendance (de tout institut bancaire ou financier), la transparence, la sécurité et la flexibilité.

 

EVG : Comment présenteriez-vous votre stratégie d’investissement ?  
 

Jean-Bernard Georges (JBG) : Nous misons principalement sur les valeurs réelles, notamment les actions, l’immobilier et les infrastructures. Nous sommes d’avis que ces placements protègent mieux le pouvoir d’achat des rentes actuelles et futures contre l’inflation et contre la récession financière. Les placements immobiliers, en particulier, nous apportent une certaine solidité et des rendements stables. Nous détenons également beaucoup plus d’investissements alternatifs que la moyenne des fondations collectives. Ces investissements améliorent globalement le profil de risque/rendement de notre fondation. En effet, ils absorbent mieux les différents chocs, comme les récessions. Une autre caractéristique de notre fondation est le fait que nous visons le long terme et ne cherchons pas à pronostiquer les mouvements de marchés. Cette stratégie, dite « tout terrain », nous apporte une stabilité qui nous permet de traverser assez sereinement toutes les situations, les marchés très porteurs comme les marchés de crise. Finalement, nous nous caractérisons aussi par notre capacité à être innovants et précurseurs. Sur certaines thématiques prometteuses et encore très peu répandues, nous avons activement contribué à lancer des produits faits sur mesure et compatibles avec les besoins d’un investisseur institutionnel.

 

EVG : Comment voyez-vous le marché de l'immobilier aujourd'hui ?  
 

JBG : Il est certain que le marché immobilier suisse fait face à un certain nombre de défis, que ce soit le renchérissement des coûts de construction ou la hausse des taux hypothécaires. En même temps, les fondamentaux restent sains et le marché garde son statut de valeur refuge. Pour nous, ça reste un marché sur lequel nous continuons d’investir régulièrement au fur et à mesure que nous recevons des liquidités en lien avec notre croissance.

 

EVG : Pourriez-vous nous parler de l’état actuel de votre parc immobilier et quels sont les objectifs que vous souhaitez atteindre ?  

 

JBG : Notre parc immobilier est dans la moyenne du parc immobilier suisse pour ce qui est de son état d’entretien. Nous possédons un certain nombre d’objets neufs, mais aussi d’autres, beaucoup plus anciens. Notre stratégie, validée par notre Conseil de fondation, est de progressivement rénover le parc pour pérenniser sa valeur et atteindre les objectifs de décarbonation fixés par les accords de Paris.

 

EVG : Dès 2017, vous avez décidé de faire un audit énergétique complet de votre parc immobilier. Pourquoi cette démarche et pourquoi à ce moment-là ? Quelles étaient vos motivations ?  
 

JBG : Nous avions besoin de connaître l’état de notre parc immobilier. Cet audit énergétique nous a permis d’avoir une vision très claire et transparente du parc et de pouvoir mettre en place un plan de rénovation structuré.  Plutôt que d’agir en réaction à des problèmes de vétusté ou de défauts apparaissant dans les immeubles, cet audit nous a permis d’être proactifs, de définir un budget, des cash-flows et de planifier, à long terme, cette campagne de rénovation.

 

EVG : La durabilité est devenue un thème majeur dans le secteur immobilier. Que signifie-t-il pour vous ? Comment l’appréhendez-vous ?  
 

PK : Toutes les caisses de pension sont aujourd’hui sous le feu de l’actualité par rapport à la durabilité. Chez COPRÉ, nous pensons qu’il est important d’avoir une approche pragmatique et non pas dogmatique. C’est-à-dire, trouver le bon équilibre pour s’inscrire à la fois dans les objectifs de durabilité, tout en conservant cette recherche de rendement attendu par nos assurés et nos entreprises affiliées. En ce sens, notre démarche énergétique s’inscrit parfaitement dans cette logique pragmatique, car nous avons la possibilité d’analyser, immeuble par immeuble, ce qu’il est nécessaire de faire pour améliorer la situation. Nous avons un graphique avec les ambitions fédérales 2030-2050, où nous voyons par quel immeuble commencer nos efforts de rénovation pour atteindre ces objectifs.

 

EVG : Les acteurs de l’immobilier, dans leur ensemble, font face à des enjeux et défis de la durabilité, que ce soit sur le plan environnemental, économique ou social. Quels sont les principaux défis auxquels votre fondation collective est confrontée aujourd'hui et comment y faites-vous face ?  
 

PK : Pour les caisses de pension dans leur ensemble, le défi le plus important est de réaliser une performance globale attractive au niveau de l’ensemble des investissements. Mais ça devient, bien entendu, difficile. Nous voyons que toutes les catégories d’actifs, à part l’immobilier et les placements alternatifs, d’où leur importance, ont une performance actuellement négative. Un deuxième défi commun aux caisses de pensions est la longévité. L’espérance de vie s’allonge, mais cela amène des réflexions à faire pour adapter le taux de conversion à l’avenir. L’environnement politique est également un défi. Nous voyons qu’il est compliqué de « rénover » l’AVS, pour reprendre un terme que vous connaissez bien dans l’immobilier, ce qui engendre des enjeux majeurs. Enfin, la digitalisation est aussi à considérer comme un défi puisqu’ elle engendre une pression sur les coûts. En effet, nos assurés réclament cette digitalisation, mais sa mise en place engendre des coûts, alors que nous essayons justement de les réduire.
 

JBG : Pour la COPRÉ, je dirais qu’aujourd’hui la priorité a été mise sur le volet énergétique. Mais le volet social, qui tient compte du bien être des locataires, nous tient évidemment à cœur. À titre d’exemple, nous pouvons citer le projet des Lisières à Gland, où des lieux de vie et d’échanges conviviaux sont créés. Il en va de l’habitabilité et de l’attractivité des immeubles à long terme. Lors de nos décisions d’investissements, nous tenons compte, d’un ensemble de facteurs qui répondent à des critères économiques, sociaux et environnementaux et qui doivent se rejoindre dans une logique de pérennité à long terme.

 

EVG : Et comment est constituée/mise en place la gestion énergétique de votre portefeuille ? Sur quels critères vous basez-vous ? Quels acteurs vous accompagnent dans cette démarche ? Quel est le rôle de chacun ?  
 

JBG : Nous avons adopté une approche multicritère, basée sur des indices énergétiques (IDC, CO2), ainsi que sur d’autres indices que nous avons choisis spécifiquement pour le portefeuille. Parmi eux, la vacance, qui est aussi un très bon indicateur, puisqu’elle peut être liée à la vétusté, notamment lorsque des constructions récentes construites à proximité rendent l’immeuble moins attractif, moins adapté au marché.
 

Pour mener à bien cette politique énergétique, nous nous sommes entourés de plusieurs spécialistes. Tout d’abord CBRE qui nous appuie dans la définition des objectifs et de la stratégie d’investissement pour le portefeuille, et assure le suivi opérationnel des projets de rénovation et de développement sur tout le territoire. Signa-terre, en charge de la surveillance énergétique, et du reporting des indicateurs de consommations énergétiques en rapport avec les objectifs fixés. Et enfin Gérofinance Régie du Rhône en Suisse romande et Privera en Suisse alémanique qui s’occupent de la gestion courante et participent activement à appliquer cette politique énergétique.

 

 

EVG : Pouvez-vous nous en dire plus sur les rendements attendus d’une telle gestion ?  
 

PK : Nous n’avons pas de valeur cible, mais espérons toujours avoir un rendement positif.
 

Sophie Marée (SM) : Il faut dire, en effet, qu’il est difficile de fixer des objectifs généraux lorsqu’on parle de rénovation, car chaque immeuble est spécifique. De plus, lorsque nous parlons de rendement positif, il faut être conscient que celui-ci est assez faible.
 

JBG : En effet, c’est pour cela qu’il faut prendre en compte l’ensemble, c’est-à-dire aussi la capacité de développement, identifiée par CBRE, ainsi que la valorisation qui est faite. Nous remarquons, alors, que nous nous y retrouvons tout à fait. D’autant plus, qu’il faut garder à l’esprit qu’il s’agit d’un investissement et non d’une dépense.

 

EVG : Quelle est donc, selon vous, la bonne stratégie à adopter pour rénover un parc immobilier ?  
 

JBG : Pour nous c’est d’identifier les priorités, comme nous l’avons fait, et réunir les logiques environnementales et économiques. À savoir, passer par un état des lieux, un audit énergétique, puis définir une stratégie et une planification financière. Nous pensons également qu’il est important d’être proactifs, plutôt que réactifs.
 

SM : La stratégie est importante, mais l’effort doit aussi être collectif. Malheureusement, nous constatons que les politiques d’investissements publics, typiquement si nous parlons de réseau de chauffage à distance, ne sont pas très en avance, ce qui a des conséquences sur nos stratégies et l’atteinte des objectifs fixés.

 

EVG : Par rapport à votre stratégie immobilière, comment vous placez-vous par rapport à vos décisions d’investissement sur le territoire suisse ?  

 

PK : Nous avons environ 100 millions par année que mous investissons directement dans l’immobilier suisse. Nous fixons la stratégie d’investissement avec le Conseil de fondation et la direction, lors de la séance qui a lieu fin décembre, et Maurice Drechsle, votre collègue de Zürich.

 

EVG : Et par rapport à la stratégie du risque vis-à-vis des objets qui ont de mauvaises notes énergétiques ou qui sont vétustes, est-ce que ça fait partie de votre stratégie de dire : on prend le risque, on achète et on fait des rénovations exemplaires ?  

 

PK : C’est exactement ça. C’est ce que nous faisons avec le portefeuille de Zürich par exemple. Ce sont des immeubles assez anciens dans lesquels les propriétaires précédents ont fait peu de rénovations.  L’idée, maintenant, est de rénover ces quelques immeubles. On sait qu’en rénovant des immeubles très bien situés dans le nouveau quartier de Zürich, nous allons aussi augmenter la valeur locative.

 

EVG : Avez-vous des retours des locataires, comment accueillent-ils ces changements ?  
 

JBG : Si la communication est bien organisée et transparente, nous constatons que les locataires accueillent généralement favorablement les rénovations entreprises et les retours sont positifs.

 

EVG : Pour quelles raisons avez-vous choisi CBRE pour vous accompagner dans cette optimisation et valorisation de votre parc immobilier ?  
 

PK : Avec CBRE, nous avons un partenaire fiable, pour l’ensemble de nos activités immobilières en Suisse. CBRE nous accompagne de manière très professionnelle, structurée et transparente. Notre collaboration couvre tous les domaines de l’investissement immobilier, donc à la fois l’acquisition, la gestion de portefeuille, les rénovations et maintenant, la partie énergétique. Nous voyons très bien que le fait d’avoir un partenaire d’un seul tenant est très intéressant, tant sur le plan de la qualité, que sur l’aspect communicationnel. Il y a une vraie unité d’ensemble avec nous et je pense que c’est l’une des forces de la relation commerciale qu’à CBRE avec la COPRÉ. C’est agréable et efficace d’avoir un seul partenaire à qui l’on peut déposer toutes nos questions. En résumé notre collaboration est excellente.

 

EVG : Pour clôturer cette discussion, comment voyez-vous la situation économique actuelle et son potentiel de développement ?  
 

JBG : La situation économique est très compliquée. L’inflation très élevée a entrainé une hausse des taux d’intérêt qui menace de plonger l’économie mondiale dans la récession. Même si la Suisse connaît une inflation moins élevée, sa dépendance aux exportations la rend vulnérable. Dans ce contexte, l’immobilier reste, pour nous, une valeur d’ancrage forte. Nous pensons que le marché immobilier d’aujourd’hui est plus sain qu’il ne l’était il y a 30 ans. Pour le reste, il est essentiel de demeurer bien diversifié et de garder une optique à long terme.
 

Discussion animée par Sophie Marée, directrice,
et Emanuel von Graffenried, directeur associé du département Building Consultancy, 
CBRE Group