L'état du parc immobilier suisse est globalement mauvais

18/10/2022

Olivier Toublan

Immoday

3 min


Certes, les propriétaires ont pris conscience que les rénovations sont désormais inévitables, même si elles impactent les rendements. Mais le travail à faire en Suisse reste énorme, avec un million d’immeubles qui ont besoin d’être rénovés. La tâche pourrait paraître insurmontable, mais des solutions existent. Par contre, ça ne sera ni simple ni bon marché.

 

Avec la hausse du prix de l'énergie et la dégradation de l'environnement, la rénovation du parc immobilier est devenue un sujet on ne peut plus sensible. Particulièrement en Suisse, où ce parc est responsable d’environ 40 % des émissions carbone du pays.

 

Tout le monde est conscient du problème, mais certains propriétaires rechignent encore à rénover leurs bâtiments, car cela entraînerait des investissements souvent lourds, qui vont impacter la rentabilité. Pourtant, ils n’ont plus guère le choix, les autorités multipliant les lois et les réglementations pour diminuer la consommation d'énergie des immeubles.
 

Heureusement, beaucoup de gros investisseurs, en particulier parmi les institutionnels, ont pris la mesure des enjeux, et les rénovations se multiplient. On fait le point avec Emanuel von Graffenried, Associate Director, Building Consultancy, chez CBRE, le leader mondial en conseil immobilier. Emanuel von Graffenried dont la spécialité est justement la valorisation de l'immobilier existant.
 

Emanuel von Graffenried, y a-t-il vraiment une volonté des gros investisseurs de rénover leur parc immobilier, ou n'est-ce, encore une fois, que de belles paroles ? 


Je crois qu'il y a une véritable prise de conscience, surtout ces deux dernières années. Auparavant, effectivement, il y avait beaucoup de greenwashing, mais, aujourd'hui, on voit de plus en plus de réalisations concrètes. L'intérêt des propriétaires est vraiment palpable.
 

Quelle est la situation actuelle du parc immobilier Suisse ? 


Dans l'ensemble, elle n'est pas très bonne. On se retrouve aujourd'hui avec un parc qui émet plus de 40 % du CO2 du pays, ce qui fait de la Suisse un mauvais élève. Beaucoup d'immeubles datent des années 1940 à 1970. Ils ont certes été correctement entretenus, mais ils ne répondent plus aux normes en vigueur aujourd'hui. Le plus souvent, les propriétaires ont simplement fait les investissements nécessaires pour maintenir leur immeuble en bon état, mais sans entreprendre de grands travaux de rénovation, qui seraient venus impacter négativement la rentabilité.
 

Le tableau que vous peignez n'est pas très rose. 


Il faut regarder la réalité en face. Beaucoup d'immeubles ont des carences importantes, ce qui va entraîner des coûts de rénovation élevés. On parle d'un million de logements qui ont besoin d'être rénovés. C'est colossal.
 

Ce qui va probablement rebuter les propriétaires, non ? 


Pas forcément, car ils sont désormais conscients que les passoires énergétiques perdent rapidement de leur valeur sur le marché. Certains grands investisseurs institutionnels refusent d'ailleurs de les acheter.
 

Vraiment ? 


Oui, même si ce n'est pas forcément par altruisme. Leur objectif est de conserver la valeur de leurs actifs sur le très long terme, et ils savent que ça ne pourra pas être le cas avec des immeubles en mauvais état. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui la "Green Value» : un immeuble ancien rénové va conserver voire augmenter sa valeur, alors que cette valeur va immanquablement baisser si l'immeuble n'est pas rénové. Par ailleurs, avec les récentes hausses des prix d'énergie, on constate que de plus en plus de locataires quittent les passoires énergétiques, où les charges sont devenues trop élevées. Ce qui n'incite pas les investisseurs à acheter de tels immeubles, qui risquent de voir leur taux de vacance augmenter.
 

Il y a aussi une multiplication des réglementations et de la législation en vue de diminuer l'empreinte carbone des immeubles. Ont-elles une vraie influence sur le marché ? 


Sans conteste, si les choses ont bougé aussi rapidement ces dernières années, c'est à cause du renforcement de la législation. Bref, de gré ou de force, les propriétaires devront rénover leurs immeubles.
 

Ils peuvent encore attendre quelques années avant de se décider, non ? 


Ne rien faire et attendre le dernier moment n’est vraiment plus la bonne stratégie. Les premiers objectifs de la Confédération sont fixés pour 2030, dans 8 ans ! Pour y arriver, un propriétaire doit commencer dès aujourd'hui la planification des rénovations et des investissements, analyser chaque actif, etc. Avec l'allongement des délais pour obtenir des autorisations et des permis de construire, la multiplication des recours et la pénurie de matériaux de construction, 8 ans c'est vraiment vite passé.
 

L'objectif de toutes ces législations, c'est le zéro carbone en 2050. Est-ce réaliste ?


Sur le papier, ça semble effectivement assez ardu, au vu des investissements nécessaires, des contraintes légales et des problèmes administratifs. Mais ce n'est pas parce que c'est ardu que ce n'est pas faisable, si l'effort est suffisant. Avec la pandémie, on a vu que, dans des situations désespérées, on savait faire face, débloquer les moyens nécessaires. J'espère que ce sera la même chose pour les objectifs 2050.
 

Face à l'inertie de certains, que pensez-vous de mouvements radicaux comme Renovate Switzerland, qui veulent faire bouger les choses par la force ?


Si je suis assez d'accord avec leur objectif final, je ne soutiens de manière générale pas ces mouvements « aux extrémités ». Qui d'ailleurs ont plutôt un impact négatif sur la population et sur l’image de l’objectif à atteindre. D'autant plus que, en Suisse, on a beaucoup d'autres moyens pour faire bouger les choses, en informant la population, en alimentant le débat public, voire en lançant une initiative populaire.
 

Dans un récent rapport, la Confédération a estimé qu'il faudrait investir 100 milliards de francs pour rénover tout le parc immobilier suisse. Ça vous paraît réaliste ?


C'est probablement le montant nécessaire pour une mise aux normes complète du parc. Mais on peut déjà faire beaucoup avec nettement moins d'argent, si on se concentre sur les éléments les plus énergivores d'un bâtiment : les façades, les toitures, les sources de chaleur, la régulation du chauffage, etc.
 

Mais peut-on arriver au zéro carbone dans un immeuble ancien, classé, au centre d'une grande ville ? C'est l'exemple que tout le monde prend pour dire que les objectifs 2050 ne sont pas atteignables.


Je ne suis pas d'accord, il y a beaucoup de nouvelles solutions techniques pour diminuer la consommation d'énergie de ces immeubles anciens, en améliorant les toitures, la production de chaleur, en isolant les caves et les cages d'escalier, et pour les façades, si l’on ne peut pas les toucher parce qu'elles sont classées, on peut toujours les couvrir de crépi isolant. Alors oui, ça va coûter cher, ça va impacter la rentabilité, mais c'est faisable.
 

D'autres estiment qu'il vaut mieux détruire et reconstruire plutôt que rénover.


Là encore, je ne suis pas d'accord, même si c'est effectivement plus facile et économiquement plus rentable. Par contre, au niveau du bilan carbone, c'est une catastrophe ! Sans parler du bilan social, car avant de détruire, il faut expulser tous les locataires de leur logement. De toute manière, dans la plupart des cas, aujourd'hui, il y a des solutions techniques possibles qui permettent d'ajouter de la valeur à l'immeuble, tout en conservant ses locataires pendant la rénovation.
 

Le principal grief des propriétaires, c'est qu'une rénovation, ça coûte cher et ça impacte la rentabilité.


Ce qui est incontestable, mais seulement si l'on regarde à court terme. Une rénovation ce n'est pas un coût, mais un investissement, qui ne sera rentable que sur le long terme. De toute manière, et c'est ce qu'on dit aux propriétaires réticents qui viennent nous voir : avec la pression législative, vous n’avez plus le choix. Ceci dit, si vous planifiez vos rénovations en amont, il sera possible de minimiser leur impact négatif sur le rendement. Ce qui sera impossible si vous attendez la dernière minute.
 

Olivier Toublan, Immoday