COPTIS - Newsletter 10, Décembre 2020 - Fiscalité immobilière

11/01/2021

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En cas de transfert de parties distinctes d’exploitation, l’acheteur répond des dettes de TVA du vendeur et est subrogé dans l’obligation fiscale de ce dernier. En matière de TVA, les transactions immobilières peuvent également être qualifiées de parties distinctes d’exploitation, de sorte qu’une récente décision du Tribunal fédéral mérite l’attention lors d’asset deals.

 

Dans l’arrêt 2C_923/2018 du 21 février 2020, le Tribunal fédéral («TF») s’est penché sur la question de la «succession fiscale partielle» lors du transfert d’actifs entre deux sujets fiscaux distincts et a cassé l’arrêt antérieur du Tribunal administratif fédéral («TAF») A5649/2017. En conséquence, tant pour les asset deals futurs que ceux déjà réalisés, de nouvelles questions de responsabilité fiscale se posent.

 

Cession d’entreprise / asset deal

Les cessions d’entreprise sous forme d’asset deals sont des achats (et ventes) d’actifs et de passifs formant une unité de gestion. Dans ce cadre, une partie d’entreprise – ou, dans la terminologie des impôts directs, une partie distincte d’exploitation – est séparée d’une société. Dans le cadre d’un share deal, qui constitue l’autre possibilité pour les transferts d’entreprises, ce sont les droits de participation d’une société qui sont acquis. Dans cette seconde hypothèse, les actifs sous-jacents ainsi que les obligations fiscales sont donc transférés indirectement au nouvel actionnaire avec la société dans son ensemble. Pour l’asset deal, le principe était cependant jusqu’à présent le suivant: à quelques exceptions spécifiques près, comme en particulier la reprise complète d’une entreprise avec tous ses actifs et passifs ou les reprises de biens immobiliers, l’acheteur ne devait pas assumer les risques historiques de TVA du vendeur – du moins tant que le vendeur continuait d’exister en tant que sujet fiscal après la vente. Alors qu’elle était jusqu’à présent un élément central dans les share deals, la due diligence («DD») fiscale le devient désormais également dans les asset deals. La « menace » de la succession fiscale partielle fait de l’acheteur ou du repreneur d’une partie d’entreprise le successeur fiscal de l’exploitation scindée pour toutes les périodes de TVA non prescrites.

 

Etat de fait de l’arrêt 2C_923/2018

L’AFC a procédé à un contrôle TVA de l’entreprise de taxis B. GmbH et constaté que les chiffres d’affaires déclarés étaient très faibles par rapport aux dépenses de carburant.

 

Elle a donc procédé à une taxation d’office. Dans l’intervalle, B. GmbH a conclu un contrat avec sa société sœur A. GmbH afin de lui transférer cinq véhicules ainsi que licences de taxi. Dorénavant, B. GmbH devait exploiter uniquement un service de limousine, tandis qu’A. GmbH devait reprendre l’activité de taxi. Les véhicules restants de B. GmbH n’incluaient cependant pas de limousine adaptée.

 

Peu de temps après, une procédure de faillite a été ouverte concernant B. GmbH. L’office des poursuites n’a toutefois retrouvé aucun actif au sein de cette société, les véhicules restants ayant tous été transférés à A. GmbH. L’AFC, qui avait également engagé des poursuites contre B. GmbH, a donc enjoint à A. GmbH de payer les dettes de B. GmbH, désormais liquidée, étant donné qu’A. GmbH avait en fin de compte repris l’entreprise de B. GmbH et se substituait à cette dernière. Suite à cela, A. GmbH a déposé un recours devant le TAF, estimant que B. GmbH a continué d’exister adrien-olichon-c3EKhEfGQdg-unsplash.jpgaprès le transfert d’actifs en sa faveur et que, par conséquent, en raison de la poursuite de l’existence de ce sujet fiscal initial resp. de la société transférante, il n’y a pas lieu de tenir A. GmbH responsable des dettes fiscales historiques de B. GmbH. Le recours a été approuvé étant donné que, selon le TAF, il aurait fallu que B. GmbH cesse d’exister en tant que sujet fiscal à peu près au moment de la réalisation de l’asset deal pour justifier une succession fiscale. L’AFC a ensuite porté l’affaire devant le TF, qui a ouvert une boîte de Pandore du droit de la responsabilité : le TF a retenu, avec une clarté inhabituelle, que même si B. GmbH avait continué d’exister, il y aurait eu une succession fiscale partielle. Par conséquent, même en cas de subsistance de B. GmbH, A. GmbH aurait eu à répondre des dettes de TVA de B. GmbH attribuables aux actifs repris par A. GmbH. En cas de doute, une répartition est nécessaire afin de déterminer quelles dettes de TVA sont attribuables à quels actifs.
 

Succession fiscale partielle / impôts directs

Le fait que les dettes de TVA du vendeur resp. les droits et obligations illimités afférents à la partie distincte d’exploitation reprise dans le cadre d’un asset deal puissent être transférés à l’acquéreur même lorsque le vendeur continue d’exister va à l’encontre d’une partie au moins de la doctrine. Cette affirmation élargit considérablement le champ d’application de l’art. 16 al. 2 LTVA. De plus, en fonction de la pratique qui sera adoptée par l’AFC, le repreneur dans le cadre de reprises de parties distinctes d’exploitation non encore prescritespourrait avoir été subrogé sans le savoir dans les droits et obligations du cédant. Cela signifie que la succession fiscale partielle s’applique également de manière rétroactive. Il ne s’agit pas d’une responsabilité solidaire de l’acquéreur, mais bien d’une subrogation illimitée dans l’obligation fiscale du cédant relativement à la partie distincte d’exploitation acquise.

 

L’arrêt en question se limite à l’application du droit de la TVA. Il reste à clarifier quelles conséquences ce changement de paradigme pourrait avoir pour d’autres types d’impôts. Dans le cadre d’un asset deal, les conséquences en matière d’impôts directs se limitaient jusqu’à présent aux situations dans lesquelles le sujet fiscal cédant disparaissait (voir art. 53 al. 4 LIFD) – à l’exception de certains cas particuliers. De plus, ces précisions relatives à la succession fiscale ne s’appliquent qu’aux asset deals entre personnes morales, étant donné qu’une personne physique ne peut pas «disparaître», mais tout au plus décéder, à la suite de quoi ses héritiers assument également ses obligations fiscales par succession universelle (voir art. 12 al. 1 LIFD et art. 16 al. 1 LTVA).

 

Questions en suspens

L’arrêt soulève des questions juridiques et pratiques qui exigent une clarification rapide. Il s’agit, selon nous, en particulier des questions suivantes :
 

• Qui peut se prévaloir de cette décision ? Selon l’arrêt, l’AFC peut faire valoir des créances d’impôt vis-à-vis de la société reprenante. La question est de savoir dans quelle mesure le sujet fiscal cédant peut ou doit invoquer la succession fiscale partielle et dans quelle mesure l’art. 15 al. 1 let. d LTVA (responsabilité solidaire du cédant) s’applique.
 

• Comment se déroule la coordination des contrôles TVA ? Si les risques sont transférés à l’acquéreur et qu’un contrôle TVA est effectué chez le vendeur, on peut se demander dans quelle mesure le contrôle des actifs cédés chez le vendeur peut être effectué.

 

• Dans quelle mesure la procédure de déclaration obligatoire est-elle affectée par cette décision ? Pour que l’AFC puisse avoir une vue d’ensemble des transferts d’actifs réalisés et des successions fiscales afférentes, elle doit être informée des transferts en temps utile. La distinction entre les procédures de déclaration volontaire et obligatoire gagne en importance.
 

• Comment l’AFC pourra-t-elle accéder en pratique aux assujettis si des parties distinctes d’exploitation ont été transférées plusieurs fois – éventuellement mêlées à de nouvelles parties distinctes d’exploitation – pendant le délai de prescription ?
 

• Comment l’assujettissement à la TVA de la partie distincte d’exploitation préalablement à la scission ou à la cession doit-elle être dissociée, a posteriori, de l’exploitation transférée ? Comment documenter cette dissociation de façon probante ?
 

• Quelle forme prendront à l’avenir les DD en matière de TVA ? Comme nous l’avons indiqué plus haut, il était possible jusqu’à présent de se passer en grande partie d’une DD fiscale dans les asset deals, à condition de s’assurer que le vendeur ne disparaisse pas peu de temps après. Les opportunités et risques fiscaux historiques demeuraient en soi le problème du vendeur. Or, si une succession fiscale partielle devient possible dans tout asset deal, l’acheteur a intérêt à examiner attentivement les risques fiscaux historiques auxquels il s’expose. C’est sans doute également l’intérêt de tout vendeur : en effet, sans divulgation de sa compliance, il devra soit s’accommoder de réductions massives du prix d’achat en raison d’un risque accru, soit accepter des clauses de couverture désavantageuses dans le contrat de vente. La problématique sous-jacente à cet égard est également le fait qu’une DD fiscal (comme tout autre procédure d’audit) augmente à titre primaire les coûts de transaction et ne réduit le risque que de manière secondaire.