Les caisses de pension vont-elles continuer d'investir autant dans l'immobilier ?

05/12/2022

Olivier Toublan

Immoday

5 min

Avec la hausse des taux hypothécaires et une possible récession économique en Suisse, la donne a changé pour les caisses de pension qui, depuis des années, avaient délaissé les obligations pour l'immobilier. Le mouvement inverse va-t-il désormais se produire ? C'est très peu probable, selon un récent sondage de Wüest Partner.

 

Hausse des taux d'intérêt de la Banque nationale, envolée des taux hypothécaires, menaces de récession, les nuages s'amoncellent sur l'horizon économique suisse. Ce qui a déjà entraîné ces derniers mois, on l'a vu dans un précédent article, une baisse du prix de l'immobilier dans la majorité des cantons suisses, du moins selon les dernières statistiques de RealAdvisor.
 

Dans ce contexte, qu'en pensent les caisses de pension, qui sont parmi les plus gros investisseurs en immobilier suisse ? Sont-elles exposées à des risques plus élevés à cause de leurs placements immobiliers? Quelle est leur propre appréciation de ces risques? Et comment comptent-elles gérer leurs investissements futurs dans l’immobilier? Ces questions ont été posées par Wüest Partner, dans un sondage dont les résultats ont été publiés dans leur dernier Immo-Monitoring.

 

Doublement de la valeur de l'immobilier  
 

Mais avant d'en arriver aux réponses à ces questions, d'abord quelques chiffres, rappelés par les économistes de Wüest Partner. Entre 2004 et 2020, la valeur des placements immobiliers détenus par les institutions suisses de prévoyance a plus que doublé. Fin 2020, en Suisse et à l’étranger, ils se montaient à 216 milliards de francs. 
 

"La moitié de cette croissance est due à des effets de valorisation, et l’autre résulte de l’extension des portefeuilles immobiliers à la suite d’achats et de développements de projets". Autrement dit, en moyenne, chaque année, entre 2004 et 2020, les caisses de pension ont acheté entre 3 et 4 milliards de francs d’immobilier. Essentiellement (plus de 75%) de l’immobilier résidentiel, d’ailleurs.

 

20% d’immobilier dans la fortune des caisses 
 

Essentiellement aussi de l’immobilier direct. Car si « les placements indirects dans des fonds immobiliers et des fondations de placement en Suisse sont très prisés, l’immobilier direct en Suisse reste la principale classe d’actifs ». Et en particulier chez les grandes caisses de pension. 
 

Au niveau de leur fortune globale, la part moyenne de l'immobiliers sur l’ensemble des placements des caisses de pension est passée de 13% en 2004 à plus de 20% en 2020. Une hausse qui, sans surprise, s'est faite au détriment des obligations, dont la part est tombée de 36 % en 2004 à 29 % actuellement.
 

Finalement, même si cette part a récemment augmenté, en moyenne, seuls 13% de ces placements immobiliers sont détenus à l’étranger. Les caisses de pension restent très prudentes, elles préfèrent investir en Suisse. Ce qui devrait continuer à être le cas ces prochaines années, avec tous les problèmes de variations de taux de change observés ces derniers mois.

 

Confiance soutenue dans l'immobilier  
 

Au vu de la nette croissance de la part des placements immobiliers d’une part et de l’augmentation des risques de marché d’autre part, les caisses de pension vont-elles encore étendre leurs investissements dans l’immobilier, ou, au contraire, les ralentir, se de demandent les économistes de Wüest Partner.
 

Ils ont donc enquêté, en juillet et août 2022, auprès des caisses de pension, et leur réponse est on ne peut plus claire. Environ 55% des caisses interrogées ont indiqué vouloir maintenir leur part de placements immobiliers. Mieux, près de 40% d’entre elles, "avec une proportion très importante de grandes caisses de pension", ont répondu qu’elles allaient plutôt augmenter leur part d’immobilier. Au final, seules 4% des caisses de pension interrogées ont déclaré souhaiter plutôt réduire la part d’immobilier.  Les caisses de pension gardent donc leur confiance dans l'immobilier malgré la nouvelle donne économique.

 

Encore un très fort potentiel d'investissement 
 

La hausse des investissements des caisses de pension dans l'immobilier pourrait d'ailleurs sans problème se poursuivre. En effet pour les grandes caisses de pension, la part maximale d’immobilier définie dans leur stratégie de placement n’est souvent pas encore atteinte. "Selon notre enquête, explique Wüest Partner, la différence entre la part maximale d’immobilier et la part effective actuelle s’établit à 6,6% en moyenne pour les très grandes caisses de pension, celles dont le patrimoine est supérieur à 3 milliards de francs". 
 

Comme ces caisses de pension gèrent un patrimoine total de quelque 680 milliards de francs, le calcul est vite fait:  le potentiel d’investissement correspondant est donc de l’ordre de 45 milliards de francs. "Dans le contexte actuel, il est très peu probable que toutes les caisses de pension exploitent pleinement ce potentiel théorique" tempèrent les économistes. Ils estiment en effet que la somme d’investissement effective sera sans doute nettement inférieure. Reste que le potentiel d'investissement dans l'immobilier, sans dépasser le taux maximal fixé par les règlements de placement, est important

 

Une préférence pour le résidentiel en direct dans les villes moyennes 
 

Dans le cadre de l’enquête de Wüest Partner, plus de 70% des caisses de pension qui souhaitaient élargir leur part d’immobilier ont déclaré avoir l’intention de recourir pour cela à des placements directs.
 

Du point de vue du type d'immeuble préféré par les caisses de pension, la réponse du sondage est, une fois de plus, claire : ce sont les immeubles d'habitation purs. Pratiquement toutes les caisses de pension visant la croissance prévoient d’investir dans le résidentiel. À la rigueur des immeubles à usage mixte, dans 70 % des cas. Seul 20 % des caisses de pension ont répondu qu'elles envisageaient d'investir dans des immeubles commerciaux. Et on ne parle même pas des immeubles spéciaux, comme la logistique, ou la santé, qui intéressent moins de 10 % des caisses de pension, malgré des rendements a priori plus élevés que pour l'immobilier résidentiel.

 

Attachement aux valeurs sûres  
 

Cet attachement aux valeurs sûres, comme l'expliquent les économistes de Wüest Partner, se confirme également dans le choix des emplacements. Avec quand même, sur ce point, une petite surprise, puisqu'elles ne sont qu'une moitié à privilégier les grandes villes. Au contraire, la plupart des caisses de pension semblent désormais préférer les villes petites et moyennes ainsi que les agglomérations intérieures pour leurs nouvelles acquisitions. Ce qui est probablement dû à des rendements désormais largement supérieurs dans les villes moyennes que dans les grandes villes.
 

Par contre, les régions plus isolées et les périphéries n'ont toujours pas la côte, moins de 10 % des caisses de pension ayant l'intention d'y investir. Au niveau géographique, « les principaux axes de développement peuvent être localisés en Suisse centrale, soit dans des régions qui affichent actuellement des taux de vacants particulièrement bas et une proportion de personnes actives supérieure à la moyenne ». 

 

Préférence pour la solidité de l'immobilier en ces temps turbulents  
 

Finalement, la conclusion du sondage de Wüest Partner est sans équivoque : la demande d’immeubles de rendement devrait connaître une évolution positive à long terme. "Certes, la récente augmentation des taux d’intérêt a rendu les obligations plus attrayantes par rapport à l’immobilier, de sorte que les caisses de pension pourraient se montrer aujourd’hui plus favorables aux obligations. Mais le contexte de placement actuel est très turbulent et de nombreuses caisses de pension devraient donc continuer de miser plus volontiers sur la solidité des biens immobiliers". On verra si ces conclusions résistent à une nouvelle hausse des taux de la Banque nationale et à la possible récession qui s’annonce.

 

Olivier Toublan, Immoday