Transformation d’une SICAF immobilière en SICAV immobilière L-QIF

28/10/2020

6 min

Les SICAF immobilières sont la seule forme de placements collectifs de capitaux organisés sous une forme corporative qui échappent à toute surveillance prudentielle pour autant que leur actionnariat soit uniquement composé d’investisseurs qualifiés ou que leurs actions soient cotées en bourse. A l’instar des SICAV immobilières, il s’agit des véhicules de détention dont l’activité consiste pour l’essentiel à exploiter un ou plusieurs immeubles. La différence fondamentale des SICAF par rapport aux SICAV consiste dans l’intangibilité de leur capital-actions et son corolaire : l’absence de tout droit au rachat en faveur des actionnaires à la valeur nette d’inventaire. Au niveau fiscal, les actionnaires de SICAF qui détiennent leurs immeubles en direct ne bénéficient pas de la transparence fiscale qui prévaut au sein d’une SICAV immobilière. Enfin, l’achat d’actions-investisseurs d’une SICAV immobilière n’est pas soumis à la LFAIE si elles font l’objet d’un marché régulier, alors que cette exemption n’existe qu’en cas de cotation à la bourse pour les SICAF immobilières.

 

Ces différences de traitement pour une activité économique similaire alimentent régulièrement les réflexions de certains promoteurs soucieux d’offrir à leurs actionnaires/clients une solution la plus efficiente possible en termes de coûts/bénéfices. A ce jour, les restrictions prudentielles qui s’imposent aux SICAV immobilières en matière d’endettement (max. 33,3% de la valeur des immeubles) et de répartition des risques (limite inférieure de 10 immeubles, exposition maximum de 25% par immeuble, impossibilité d’acheter des terrains sans permis en force, etc…) couplée avec la procédure d’autorisation auprès de la FINMA et à la structure opérationnelle à mettre en place pour l’obtenir font que les promoteurs préfèrent encore très souvent opter pour les SICAF immobilières nonobstant la double imposition de leur bénéfices lorsqu’ils sont distribués à leurs actionnaires.
 

Les changements réglementaires qui s’annoncent à l’horizon 2021


Le rapport coûts/bénéfices en faveur des SICAF immobilières pourrait touttheregularjo-BSCNXOZMtD4-unsplash.jpgefois fortement évoluer avec la modification de la loi sur les placements collectifs de capitaux (LPCC) que le Conseil fédéral a récemment mis en consultation avec pour objectif de mettre en vigueur le régime des L-QIFs pour 2021. En effet, cette nouvelle réglementation devrait libérer les SICAV immobilières réservées aux investisseurs qualifiés (institutionnels ou privés) de toutes contraintes de placement et leur lancement ne devrait plus être soumis à aucune procédure d’autorisation, mais seulement à un audit prudentiel annuel.
 

Nul doute que ce nouveau contexte réglementaire amènera les promoteurs à tester la pertinence de leur choix passé et, le cas échéant, à s’interroger sur l’opportunité de transformer leur SICAF en SICAV immobilières pour l’avenir.

 

Les considérations pratiques  

 


L’impossibilité de transformer une SICAF en SICAV


Depuis l’arrêt B-6755/2013 du Tribunal administratif fédéral, nous savons qu’une transformation de SICAF en SICAV au sens des articles 53 et suivants LFus n’est pas possible en raison soi-disant du numerus clausus des restructurations autorisées en droit suisse. Selon cette décision, une transformation économique d’une SICAF en SICAV ne peut juridiquement s’opérer que par le biais d’un transfert de patrimoine au sens de l’article 69 LFus ou par l’acquisition séparée par la SICAV de certains éléments du patrimoine à transférer.
 

Quelques conséquences pratiques  

 


Au niveau réglementaire


L’impossibilité de procéder à une telle transformation implique de constituer une SICAV avant de pouvoir transférer les immeubles de la SICAF dans son compartiment investisseurs. En l’état de la LPCC, cette constitution signifie obtenir l’approbation de la FINMA après s’être soumis avec succès à un audit d’autorisation de la part d’un auditeur agréé. Dans ce contexte, le praticien devra être tout particulièrement attentif aux deux points suivants :
 

Choix d’une SICAV immobilière à gestion externe ou interne


Quand bien même la réglementation laisse en principe à la discrétion des promoteurs le choix d’externaliser ou d’internaliser l’administration et la gestion d’une SICAV immobilière moyennant fonds propres et compétences suffisantes, ils seraient bien avisés de soumettre à la FINMA le modèle d’affaires envisagé à un stade très précoce du processus. Dans la mouvance de la nouvelle réglementation sur les L-QIFs, le choix d’une structure internalisée pourrait en effet se heurter à des réticences que les bases légales applicables permettent difficilement d’anticiper. Le praticien doit prendre en compte ici le fait que le passage avec succès de l’audit d’autorisation pour un modèle d’affaire donné n’offre aucune garantie d’approbation par la FINMA. Après la modification de la LPCC introduisant les L-QIFs, le choix d’une SICAV à gestion externe permettra d’éviter la procédure d’autorisation FINMA, ce qui devrait faciliter la prise de certaines décisions tant aux niveaux structurel que temporel.
 

Impact de la réglementation en matière de personnes proches


Contrairement à ce qui prévaudrait en cas de transformation proprement dite d’une SICAF en SICAV, le transfert de patrimoine entre les deux entités tombe sous le champ d’application des transactions entre personnes proches au sens de l’article 63 alinéa 3 LPCC. En l’état, la transformation envisagée économiquement n’est dès lors possible que moyennant l’octroi d’une dérogation de la part de la FINMA au sens de l’article 63 alinéa 4 LPCC, ce qui nécessitera la mise en place d’un processus de transfert et d’évaluation des immeubles suffisant pour protéger l’intérêt des investisseurs. Cette restriction devrait être néanmoins assouplie pour les L-QIFs. Il faut encore avoir conscience du fait que dans cet exercice dérogatoire chaque immeuble est pris pour lui-même au niveau réglementaire nonobstant la conclusion au niveau civil d’un contrat de transfert de patrimoine au sens de l’article 69 LFus. Cette considération rend en l’état absolument impossible le transfert de terrains en cours de construction en raison de l’article 32 alinéa 5 OPCC. Mais ce régime devrait également être assoupli sous l’empire de la LSfin dès l’année prochaine.

En l’état de la réglementation, il faut encore veiller au respect des restrictions de placement qui s’imposent aux SICAV et qui pour certaines devront être remplies au premier jour du transfert. On pense ici notamment à la limite d’endettement. Pour les L-QIFs, ces restrictions n’existeront en principe plus. Pour autant, les promoteurs qui voudraient s’en écarter seront bien avisés de mettre en place un système de gestion des risques adéquats en collaboration étroite avec la société direction qu’ils auront choisies s’ils veulent s’éviter quelques désagréments lors du premier audit prudentiel.
 

Au niveau fiscal


L’impossibilité de transformer une SICAF immobilière en SICAV immobilière comporte également des conséquences fiscales non négligeables. On peut d’ailleurs raisonnablement se demander si ces conséquences ne constituent pas la raison sous-jacente à cette impossibilité dès lors qu’une SICAV offre davantage de protection pour les investisseurs et pour les créanciers qu’une SICAF. Le praticien doit savoir que les autorités fiscales ne sont aucunement sensible à ces éléments quand bien même le cercle des actionnaires demeurent exactement le même.

Première conséquence de taille, le transfert des immeubles sera soumis aux droits de mutation dans tous les cantons qui les prévoient. Dans certains cantons, le transfert de propriété ne peut intervenir que si les montants à payer pour ces droits sont provisionnés, alors que la SICAV en constitution ne disposera d’aucun moyen financier avant le lancement de son compartiment investisseurs. Il s’agit donc de bien anticiper cette problématique dans la mécanique du transfert, car les sommes en cause se montent très rapidement à plusieurs millions.

Ensuite, qui dit transfert des immeubles dans le compartiment investisseurs de la SICAV, dit prix de transfert. Au niveau réglementaire, celui-ci peut correspondre au plus à la valeur vénale qui ressortira des expertises réalisées par les experts désignés conformément à l’article 64 LPCC selon une méthode fondée sur la discounted cash flows. Lors de la fixation du prix de transfert, il y aura lieu de bien déterminer avec les administrations compétentes de chaque canton quelles valeurs seront retenues fiscalement : celle correspondant au prix de transfert effectif, celles définies théoriquement par les experts permanents et qui servira de base pour déterminer la VNI des actions investisseurs, ou une autre propre aux autorités locales. Nul n’est besoin de préciser à l’attention du praticien qu’elle est l’importance d’obtenir ici des assurances de la part de l’administration, en particulier si la SICAF a constitué d’importantes réserves latentes.

Enfin, qui dit transfert de patrimoine, dit contre-prestation en faveur de la SICAF transférante. Comme la SICAV n’a en principe aucun moyen financier avant le lancement de son compartiment-investisseurs, sa contre-prestation devra intervenir en nature par l’attribution d’un nombre d’actions correspondant au prix de transfert des immeubles selon le prix d’émissions fixé. Il faudra ici bien analyser, en particulier sous l’angle de l’impôt anticipé, de quelle manière ces actions pourront ensuite être distribuées aux actionnaires de la SICAF, étape finale d’un processus juridique complexe pour aboutir à une simple transformation sur le plan économique.



On le voit, la transformation d’une SICAF immobilière en SICAV immobilière ne s’apparente pas en l’état à une aimable partie de campagne en raison de la nécessité d’opérer un transfert de patrimoine. A l’horizon 2021, la situation devrait toutefois sensiblement s’améliorer sur le plan réglementaire avec l’avènement des L-QIFs qui pour le Conseil fédéral doit doter la Suisse d’un produit de placement très compétitif au niveau prudentiel.

 

Il reste à espérer que la compétitivité fiscale de ce nouveau produit soit à la hauteur des ambitions qu’on veut lui prêter politiquement, y compris pour les placements immobiliers.