COPTIS - Newsletter 3, Mars 2022 - Fiscalité immobilière

05/04/2022

COPTIS

Association suisse des professionnels en titrisation Immobilière

5 min

Le modèle à deux contrats dans les transactions immobilières – opportunités et risques à la lumière de la jurisprudence la plus récente

 

Dans la pratique, il n’est pas rare que l’acheteur d’un bien-fonds conclue en même temps un contrat d’entreprise EG/ET (combiné avec le contrat de vente ou séparé) portant sur la création, la transformation ou l’achèvement d’un lotissement avec le vendeur («modèle à deux contrats»). En d’autres termes, l’acheteur «acquiert» séparément l’ouvrage et le terrain au lieu d’un bien-fonds construit. Une telle division présente certains avantages du point de vue des vendeurs. Dans ce contexte, il se peut ainsi que la partie venderesse ne se limite pas à une seule personne et compte plusieurs vendeurs.

 

Exemple: La société immobilière X. AG domiciliée à Zurich et l’entreprise de construction Z. GmbH domiciliée à Zoug appartiennent toutes les deux à un groupe de construction. En décembre 2019, X. AG acquiert un bien-fonds non bâti dans le canton de Zurich au prix de 10 mio. CHF. Ensuite, Z. GmbH prévoit de construire un lotissement de maisons individuelles sur ce site. En novembre 2021, X. AG et Z. GmbH vendent les unités clés en main, les acheteurs concluant le contrat de vente du terrain avec X. AG et le contrat d’entreprise avec Z. GmbH. X. AG vend le terrain pour un montant total de 18 mio. CHF (bénéfice de 8 mio. CHF) et Z. GmbH fournit en tant qu’entrepreneur général (EG) des prestations de service pour un montant de 13 mio. CHF (bénéfice de 3 mio. CHF).
 

I. Traitement fiscal différent du prix de l’ouvrage et du prix du terrain


D’un point de vue fiscal, l’acquisition séparée du terrain et de l’ouvrage n’est pas toujours simple, car la fourniture de la prestation de service et le transfert de propriété du terrain (ou des bénéfices réalisés avec ces opérations) sont parfois traités différemment sur le plan fiscal:
 

- C’est en principe le cas pour les impôts directs des cantons dits monistes (ZH, BE, UR, SZ, NW, BS, BL, TI, JU). Dans ces cantons, les gains provenant de la vente de biens-fonds dans la fortune commerciale sont soumis à l’impôt sur les gains immobiliers. Dans ce contexte, le canton de Berne connaît un régime spécial qui, sous certaines conditions, soumet les gains provenant du commerce de biens-fonds à l’impôt sur le bénéfice au lieu de l’impôt sur les gains immobiliers.

 

- Ensuite, les droits de mutation sont en principe prélevés sur le prix du terrain et non sur le prix de l’ouvrage.

 

- Enfin, une question similaire se pose en ce qui concerne la TVA. La valeur du sol n’est pas soumise à la TVA, mais le prix de l’ouvrage constitue un chiffre d’affaires imposable.

 

En matière de droits de mutation, les autorités fiscales cantonales ont développé une pratique qui consiste à prendre en compte le prix global (prix du terrain et prix de la construction), selon laquelle la valeur de la prestation de service (prix de l’ouvrage) est également soumise aux droits de mutation si le contrat de vente du terrain et le contrat d’entreprise dépendent à ce point l’un de l’autre que l’un n’aurait pas été conclu sans l’autre.
 

 

En ce qui concerne l’impôt sur les gains immobiliers, la prise en compte du prix global du terrain et de l’ouvrage n’a en règle générale aucun effet, car, contrairement aux droits de mutation en tant qu’impôt sur les transactions juridiques, cet impôt porte sur la différence entre le coût de revient et le produit. Le fait d’ajouter le prix de l’ouvrage a pour effet d’augmenter à la fois le prix de revient et le produit. Il convient toutefois de noter que, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, en cas de prise en compte du prix global du terrain et de l’ouvrage, le bénéfice réalisé sur le prix de l’ouvrage est imposé dans le canton de situation du bien-fonds et non dans le canton de domicile de l’entrepreneur de l’ouvrage.

Il en va autrement en cas de transferts de bénéfices, c’est-à-dire lorsque les parties réduisent le prix d’achat du terrain (et donc les gains immobiliers) et augmentent le prix de l’ouvrage:

 

- Dans le cas de l’impôt sur les gains immobiliers, ce transfert de bénéfices entraîne, selon le cas, une réduction considérable de la charge fiscale au niveau cantonal:

 

Dans l’exemple présenté au début, le gain immobilier est soumis à l’impôt sur les gains immobiliers zurichois au taux de 50% (en raison de la durée de détention inférieure à deux ans), tandis que le bénéfice sur les prestations de service est soumis à l’impôt sur le bénéfice au taux nettement plus bas d’environ 13,8% dans le canton de Zurich (en cas de comptabilisation globale du prix du terrain et de l’ouvrage) ou d’environ 4,7% dans le canton de Zoug (sans globalisation du prix du terrain et de l’ouvrage), en supposant dans les deux cas que Z. GmbH n’a pas d’établissement stable à Zurich. Au niveau fédéral, l’impôt sur le bénéfice au taux effectif de 7,83% est appliqué uniformément.

 

- Il existe des considérations similaires pour la TVA, mais dans le sens inverse. Tandis que le prix du terrain n’est pas assujetti à la TVA, le prix de l’ouvrage est imposable au taux de 7,7%. Un acquéreur qui n’a pas le droit de déduire la TVA aurait donc intérêt à payer plus pour le terrain et moins pour l’ouvrage.
 

II. Jurisprudence récente et conséquences dans la pratique 


Dans la pratique, les autorités fiscales examinent donc d’un œil critique la répartition entre le prix de l’ouvrage et le prix du terrain afin d’y déceler un éventuel transfert de bénéfices. Jusqu’à présent cependant, une correction n’était pas d’emblée admise lorsque le fabricant de l’ouvrage (l’entrepreneur) et le vendeur du terrain travaillaient ensemble en tant que sujets fiscaux indépendants à la réalisation d’un projet de construction.

 

Dans son arrêt le plus récent du 14 avril 2021 (2C_913/2020), le Tribunal fédéral s’est prononcé sur le fait que, dans le cas de sociétés liées le transfert de bénéfices était possible et devait donc être examiné par les autorités fiscales. Il en résulte que les autorités fiscales peuvent également exiger, dans le cadre de la taxation de l’impôt sur les gains immobiliers, des documents concernant les relations internes entre le propriétaire du terrain et l’entrepreneur de l’ouvrage, tels que des accords contractuels et des décomptes des coûts de construction. Si ces documents ne sont pas fournis et qu’il existe des indices de transfert de bénéfices, les autorités fiscales peuvent procéder à une taxation d’office, soit sur la base d’une appréciation. Le Tribunal fédéral n’a accordé aucune importance au fait que les faits à juger n’étaient pas une «répartition des bénéfices» purement interne (comme dans le cas d’un prix unitaire), mais en a accordé au fait que le prix d’achat d’une part de terrain et le prix de l’ouvrage pour le projet de construction ont été présentés séparément aux acquéreurs.

 

Enfin, la prise en compte du prix global du terrain et de l’ouvrage au niveau de l’impôt sur les gains immobiliers dans le modèle à deux contrats comporte toujours le risque d’une double imposition intracantonale ou intercantonale du bénéfice résultant de la construction de l’ouvrage (imposition au lieu de situation du bienfonds et au siège du fabricant de l’ouvrage).

 

III. Conclusion 

 

Dans la pratique, le récent arrêt du Tribunal fédéral signifie que les autorités fiscales peuvent vérifier la répartition des bénéfices des sociétés liées en exigeant des documents plus complets. Le degré de coopération entre le fabricant de l’ouvrage et le propriétaire du terrain (p. ex. lors de la viabilisation du bien-fonds et de l’obtention des permis de construire) ainsi que la chronologie de l’aliénation du terrain et du début de la construction de l’ouvrage sont déterminants à cet égard. Il est donc recommandé de disposer d’une documentation détaillée des relations en vue de prouver la conformité au principe de la comparaison entre tiers. Pour les projets de plus grande envergure, il est possible et recommandé de faire valider au préalable la méthode de répartition des bénéfices et l’imposition des bénéfices par les autorités fiscales dans le cadre d’un ruling fiscal. 
 

coptis_logo.svg