Interview 'COVID 19' - Vincent Oswald, fondateur et managing partner d’Enki Partners SA

24/04/2020

Immoday

Rédaction

4 min

Pour l’interview « COVID-19 » d’aujourd’hui, nous accueillons Vincent Oswald, fondateur et managing partner d’Enki Partners SA.
 

Monsieur Oswald, comment allez-vous et où vous trouvez-vous en ce moment ?


Je vais très bien et je suis à la maison, comme la plupart des gens qui peuvent faire du télétravail depuis maintenant six ou sept semaines. Mais en ce qui me concerne, cela n’a pas changé mon rythme de travail, toujours aussi soutenu.
 

En quelques mots, qui est Vincent Oswald au bureau et dans la vie ? Et quel rôle joue votre entreprise dans l’industrie de l’immobilier indirect en Suisse ?


Je suis l’un des co-fondateurs et managing partners d’ENKI Partners SA, une société fondée début 2017 avec mon associé, Joël Houmard. Nous conseillons et accompagnons divers acteurs de la titrisation immobilière, essentiellement des gérants de fonds. Nous commençons par la structuration de nouveaux fonds, de nouveaux produits de titrisation immobilière. Ensuite, nous nous occupons du placement de ces fonds, de la levée de fonds mais également de toute la partie relationnelle avec les investisseurs qui est absolument essentielle aujourd’hui. En effet, il est clé de communiquer et d’informer : pour cela, nous travaillons aussi sur la conception design des documentations, présentations et newsletters pour les investisseurs. Nous prenons également en charge toute la partie des marchés secondaires… quand vous investissez dans des fonds non-côtés ou dans des fondations de placements immobiliers, vous êtes face à des instruments peu liquides et pour lesquels il n’existe pas de marché officiel… nous facilitons donc les échanges de parts entre les investisseurs qui veulent entrer dans ces produits et ceux qui souhaitent en sortir. Et pour finir, une autre activité s’est développée avec le temps pour répondre à un besoin : nous aidons certains fonds à trouver des projets immobiliers et à les développer. ENKI Partners est donc maintenant actif sur quasiment toute la chaine de valeur.
 

Au niveau privé, je viens d’avoir quarante ans, je suis marié et nous avons deux enfants. J’habite dans la campagne vaudoise, près de Nyon où nous avons nos bureaux.
 

Comment vous êtes-vous organisé professionnellement pour faire face à cette crise du Coronavirus ?


Chez ENKI, nous avons très vite mis en place le télétravail… Cela était aisé car nous travaillons souvent ainsi en temps normal : nous sommes une petite équipe dynamique et nous nous déplaçons beaucoup en Suisse pour nos rendez-vous. Ce qui a vraiment changé avec notre activité portée sur la vente, c’est qu’on ne peut pas faire de rendez-vous avec les gens. Mais, même si le contact humain est difficilement remplaçable, on y arrive très bien avec les outils de vidéo-conférence comme Teams ou Zoom. Et pour le reste, tout était déjà en place sur des serveurs cryptés en Suisse. Nous pouvons vraiment travailler depuis n’importe où… Pour notre équipe, nous avons mis en place, plusieurs fois par semaine, des coffee-meetings, essentiels pour entretenir un esprit d’équipe et échanger sans autre but que de maintenir ces discussions informelles que l’on a normalement au bureau entre collègues.
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Quel impact a selon vous cette crise sur le secteur de l’immobilier et de l’immobilier indirect en général ? et sur votre activité en particulier ?
 

Sur le secteur de l’immobilier, c’est un peu tôt pour se prononcer. Je différencierais deux types d’investissements.

D’une part, l’immobilier commercial sera probablement assez fortement touché, même si ça dépendra vraiment des différents locataires : il y a aujourd’hui beaucoup d’incertitude sur les loyers dus pendant la période de fermeture imposée par le Conseil Fédéral.

D’autre part, pour la partie résidentielle, il y a plusieurs éléments à considérer : d’abord la localisation, comme toujours. Déjà avant la crise liée au Covid-19, il y architecture-2256489.jpgavait des endroits où il devenait compliqué de louer des appartements et où on voyait les taux de vacance augmenter avec une offre qui commençait à dépasser la demande de logement. Ce qui risque d’être accentué par la crise. Ensuite, on commence à voir arriver les premières demandes de report de loyer ou même les gens qui ne payent plus parce qu’ils subissent de fortes baisses de revenus. Au final, je pense donc que le rendement des fonds immobiliers va malgré tout être affecté par ce problème de loyers.
 

Chez ENKI, nous avons tenu compte de ces éléments et nous avons donc beaucoup travaillé sur des newsletters et de l’information pour les investisseurs de la part des fonds immobiliers, afin d’expliquer l’état du portefeuille, les mesures prises avec les locataires, les éventuelles provisions réalisées. Il nous paraît essentiel de maintenir un dialogue régulier avec les investisseurs pendant la crise, ce que nous avons d’ailleurs conseillé à la plupart de nos clients, pour rassurer et lutter contre le climat d’incertitude en expliquant ce que l’on fait.
 

Par ailleurs, on commence à voir un assèchement des investissements dans ces produits immobiliers qui font courir des incertitudes importantes sur les prochaines augmentations de capital ou levées de fonds pour des produits existants ou des nouveaux produits. Tout ceci lié aux marchés en général qui ont beaucoup souffert et aux allocations d’actifs au sein des caisses de pensions qui restent les plus gros investisseurs dans les produits immobiliers en Suisse. Pour nous, ça décale certains lancements de produits sur lesquels on travaillait et ça recentre beaucoup notre travail sur de la gestion de communication avec les investisseurs pour le compte de certains clients. Être sûr qu’on donne les bons messages, informer, rassurer, expliquer les avantages des structures indirectes…
 

Pour vous l’immobilier indirect, toujours une valeur refuge aujourd’hui ?


Oui clairement ! On peut constater que l’immobilier indirect a beaucoup moins été impacté que d’autres secteurs, surtout si l’on considère le résidentiel. Maintenant, je ne fais pas partie de ceux qui, surtout dans le résidentiel, ont un peu la réaction de l’autruche et disent que « c’est de l’immobilier et ça ne va rien changer à terme ! » Je pense qu’il y aura clairement un impact, certes moindre que dans d’autres secteurs qui sont totalement à l’arrêt et où il y aura de grandes destructions de valeur, mais un impact quand même. La notion de créations de valeur ajoutée dans les portefeuilles à travers des rénovations ciblées, des renégociations de baux intelligentes par exemple qui dénote d’une gestion active et professionnelle pourra à mon avis faire la différence en ces temps troublés.
 

Quelles perspectives pour le secteur selon vous au 31 décembre 2020 ?


C’est une très bonne question (rires). Si j’avais la répon-se, je serais potentiellement un homme riche. C’est difficile à évaluer. Entre l’appétit des investisseurs pour des valeurs refuges et un environnement de taux très bas qui réduisait les possibilités d’investissement avec un profil risk/return attractif, on a eu de très nombreux acteurs importants qui ont investi massivement dans l’immobilier, y compris avec des rendements très bas. Du coup, si le rendement immobilier baisse maintenant, staircase-274614_1920.jpgces investisseurs vont se retrouver avec des rendements quasi nuls et avec d’autres parties de leur portefeuille qui vont très mal. Je suis confiant sur le fait que l’impact pour l’immobilier sera moindre qu’ailleurs, mais je reste partagé entre un impact assez limité si l’économie repart plutôt rapidement ou plus important si la reprise est plus lente avec des problèmes durables au niveau de l’économie et du paiement des loyers… il y aura aussi un changement de rythme pour le monde de la PPE et de la vente de biens immobilier qui va certainement ralentir pendant un petit moment.
 

Je pense qu’on verra une fin d’année avec des VNI (valeur nette d’inventaire) qui vont probablement baisser. On aura peut-être un double effet avec des fonds qui peineront à lever de l’argent mais qui, paradoxalement, retrouveront sur le marché des opportunités d’investissement… Une période en tout cas intéressante à vivre.
 

Enfin, il y a aussi un risque lié à une éventuelle hausse des taux hypothécaires qui prendront en considération la prime de risque liée au contexte conjoncturel. Cette augmentation pourrait mettre à mal des acquisitions réalisées avec une rentabilité trop faible.
 

Des risques en particulier ? Ou à contrario des opportunités ?
 

Comme évoqué, le l’augmentation du coût de financement pourrait mettre la pression aux acteurs trop endettés. Je pense par contre que la situation actuelle est une très belle opportunité pour l’industrie de communiquer sur la résilience de l’investissement immobilier. Immoday arrive à point nommé pour faire la promotion de l’immobilier indirect.
 

Certains esprits chagrins prédisent l’éclatement de la bulle immobilière et exhortent les investisseurs à en sortir. La réalité montre que l’on n’investit pas dans l’immobilier comme dans une action cotée. Il s’agit d’un investissement physique et stratégique dans une allocation d’actif. De plus, la titrisation immobilière est un très bon outil d’investissement pour l’immobilier car elle amène des garde-fous.
 

Il est clair que la régulation peut également être perçue comme une contrainte, c’est d’ailleurs pour cela que certains acteurs favorisent les sociétés immobilières. De notre côté, nous pensons que la gestion professionnelle, la gouvernance et la régulation sont des gardes fous pour les investisseurs. Autrement dit, une amélioration du ratio rendement/risque. L’opportunité est grande pour l’industrie immobilière titrisée de démontrer sa valeur ajoutée durant cette crise.
 

Et à titre personnel, est-ce que cette crise va changer quelque-chose dans votre vie ?


Je pense qu’il y a de grandes leçons à tirer de cette crise autant au niveau sociétal, privé ou professionnel. Chacun doit s’interroger sur le sens de ses priorités ainsi que sur l’avenir que nous souhaitons laisser à nos enfants.

 

Immoday - Propos recueillis par Philippe Perret du Cray le 24 avril 2020