La demande des investisseurs institutionnels est claire Ils veulent une gestion durable

16/09/2021

3 min

Responsabilité durable, ESG, ce sont des mots que l’on entend de plus en plus souvent dans la bouche des gestionnaires de fonds immobiliers. Mais est-ce simplement du marketing pour être dans l’air du temps ? Ou un véritable intérêt pour une gestion immobilière plus respectueuse de l’environnement ?  Les réponses de Jonathan Martin, de la banque Edmond de Rothschild.

 

Par Olivier Toublan

 

Depuis quelques temps, on entend beaucoup parler de responsabilité sociale, de durabilité et de critères ESG dans l’immobilier, mais concrètement, pour un gestionnaire de fonds, ça veut dire quoi ? Combien de temps est consacré à cette problématique ? Quels sont les écueils rencontrés, et comment y remédier. Et surtout, ça coûte combien ? Les réponses de Jonathan Martin, senior manager chez Rothschild REIM, et membre de l’équipe de gestion du fonds immobilier Edmond de Rothschild Real Estate SICAV (ERRES).

 

Jonathan Martin, la durabilité, la responsabilité sociale, les ESG, c’est important pour vous ?

Très important. Je pense que, actuellement, environ 50 % de mon temps est lié aux enjeux de durabilité. C’est d’ailleurs un côté de mon travail qui me plaît beaucoup, car, avec un portefeuille immobilier aussi important que celui que nous gérons, presque 4 milliards de francs, on peut vraiment avoir un impact sur le développement durable de la région et une bonne gestion peut vraiment faire la différence.

 

La durabilité, c’est un effet de mode ou une tendance de fond ?

Aujourd’hui c’est clairement devenu une tendance de fond, et on ne pourra plus revenir en arrière. Les autorités émettent des réglementations de plus en plus contraignantes, auxquelles on ne pourra pas échapper, et les investisseurs, surtout institutionnels, sont devenus beaucoup plus exigeant dans ce domaine.

 

Et les investisseurs privés ?

Honnêtement, aujourd’hui ils ne sont pas encore très demandeurs. Mais avec les nouvelles générations qui arrivent, et qui sont très exigeante sur les questions de développement durable, la situation va changer.

 

C’est quoi une gestion immobilière responsable ?

Il faut d’abord froidement analyser où on en est, et où l’on veut aller. Ensuite, trouver des processus, des moyens, humains et financiers, à mettre en œuvre pour arriver à ce but. Pour moi, c’est comme ça que l’on peut faire une gestion responsable, en ayant un cadre de travail, avec un but et un véritable processus de prise de décision. Avec plusieurs enjeux à gérer en parallèle, énergétiques bien entendu, mais aussi sociaux, qu’il ne faut pas oublier surtout dans un secteur comme l’immobilier.

 

Et donc vous, avec votre fonds, vous voulez aller où ?

Il y a deux manières de prendre en compte la durabilité. La première, je l’appellerai absolue. Dans ce cas, on déclare, par exemple, que l’on veut un portefeuille immobilier avec zéro émission CO2 dans dix ans, ce qui fera très bien dans un rapport annuel. Comment y arriver ? C’est assez simple, on vend toutes nos croûtes énergétiques, et on construit du neuf. Facile, mais, objectivement, c’est une stratégie un peu hypocrite, qui permet de faire bonne figure, mais qui n’améliore pas la situation globale de l’immobilier. Nous préférons une autre stratégie, qui prend en compte ce que j’appelle la durabilité relative. Une stratégie qui, au final, permet d’avoir un impact sur le développement durable beaucoup plus important, même si elle est plus complexe à mettre en œuvre.

 

C’est-à-dire ?

Plutôt que de construire uniquement du neuf, très peu énergivore, ce que tout le monde sait (très) bien faire aujourd’hui, nous avons aussi décidé d’acheter des immeubles anciens, et de les rénover. Certes, au final, cela ne nous permettra pas de publier des chiffres absolus mirobolants sur les émissions carbones de notre parc immobilier, et pourtant, en rénovant ces immeubles anciens, en dépensant du temps, de l’énergie et de l’argent pour diminuer leur empreinte carbone, nous considérons que nous remplissons mieux notre mission. D’autant plus que ces immeubles très énergivores, que nous achetons souvent à des privés, seul un fonds immobilier possède aujourd’hui les moyens humains et financiers nécessaires pour les rénover efficacement. C’est la vision long terme de notre gestion. Car c’est souvent trop cher et trop complexe pour un privé, qui ne peut pas le faire.

 

C’est quand même une stratégie assez compliquée à expliquer aux investisseurs, non ?

Il faut en effet un gros travail pour leur expliquer ce que nous voulons faire, et leur montrer que notre stratégie permet vraiment d’améliorer la durabilité du secteur. Que c’est vraiment de l’Impact Investing. Ceci dit, je sais que c’est difficile à comprendre et à analyser pour les investisseurs, et je suis conscient que l’on va probablement perdre quelques clients en route. Tant pis, je suis convaincu que c’est une bonne stratégie, vraiment durable, vraiment bénéficiaire à l’ensemble du parc régional sur le long terme. Car ces immeubles anciens, que les privés ne peuvent pas rénover, faute de moyens, sont encore très majoritaires dans le parc immobilier suisse. A Genève, le taux de rénovation du parc est inférieur à 1% alors que les ambitions climatiques définies dans le pan directeur de l’énergie 2020-2030 du Canton visent un quadruplement de ce taux !

 

Concrètement, comment faites-vous pour sélectionner ces immeubles anciens que vous allez acquérir ?

Une fois que l’on a déterminé notre stratégie, il faut effectivement la concrétiser. Et dans secteur immobilier, vous le savez bien, c’est long. Il faut analyser chaque objet, planifier les rénovations, faire les demandes auprès des autorités, trouver les artisans, débloquer les financements. Une mise en œuvre complexe, car chaque immeuble est différent, et il est impossible de dupliquer sans autre les bonnes pratiques. Ça prend du temps et l’énergie, il faut à chaque fois trouver de nouvelles solutions, mais c’est aussi ce qui rend le métier passionnant.

 

Tout cela, prend du temps et coûte de l’argent. Est-ce vraiment raisonnable quand, au final, ce qu’on vous demande, c’est de la performance ?

Il faut effectivement des convictions fortes, tant dans la banque que dans l’équipe qui gère le fonds. Pour moi, comme je l’ai dit, ça me prend jusqu’à la moitié de mon temps, mais, ces enjeux de durabilité, j’y crois vraiment. Et je pense qu’ils sont un point essentiel de mon métier de gestionnaire de portefeuille immobilier. En outre, ces mesures mettent en valeur les immeubles en les rendant plus résilients dans le temps et plus attractifs pour les locataires.

 

Donc, votre stratégie arrive à convaincre.

Il y a aussi la pression des investisseurs, et des autorités avec leurs nouvelles réglementations. Mais, plus largement, il ne faut pas vraiment considérer ça comme des coûts, plutôt comme des investissements. Quand on refait une isolation, quand on change le chauffage, cela apporte une valeur ajoutée au locataire, mais aussi au propriétaire, qui, puisque ces investissements énergétiques sont bien valorisés par la loi, peut par exemple augmenter le loyer et/ou bénéficier d’un baisse des charges énergétiques et d’entretien par la suite.

 

Ou toucher des subventions…

Effectivement. Et sur ce point, je dois dire que le Canton et la Confédération font bien leur travail, avec ces subventions. Qui sont parfois de l’argent, mais aussi parfois des compétences et de la main d’œuvre. Il est clair que certains projets n’aboutiraient pas s’il n’y avait pas ces subventions. Bien entendu, on en aimerait toujours plus et que cela se fasse plus rapidement, mais au final, nous avons une bonne collaboration avec l’administration, et nous sommes satisfaits des mesures d’accompagnement.