Terence Kast, COO de Procimmo: «Il est toujours possible de faire des augmentations de capital, mais c'est effectivement plus difficile qu'avant»

12/10/2023

Immoday ​​​​​​

Olivier Toublan

5 min

Ça bouge chez Procimmo, où la direction de l’entreprise cherche à anticiper les challenges d'un marché immobilier devenu plus difficile, en procédant notamment à des opérations de restructurations au niveau de ses produits et en optimisant la gestion des portefeuilles immobiliers. Le point avec Terence Kast, son COO. 

Terence Kast, qui êtes-vous ?

 

J'ai un parcours un peu particulier, puisqu'à la base, je suis avocat, avec un brevet passé à Genève en 2012. J'ai ensuite rejoint la FINMA, où j'ai travaillé dans le département d'asset management qui faisait face à un flux accru de demandes d’autorisation de la part des gestionnaires de fonds. En effet, la LPCC avait été révisée et beaucoup de gérants devaient obtenir une licence LPCC. J’ai également eu l’occasion de travailler sur les autorisations des fonds de placements, ce qui m’a ouvert les yeux sur les différents produits et leur stratégie.

 

C'est comment de travailler à la FINMA ?

 

C'est une grosse structure, avec de nombreux échelons hiérarchiques, où il est difficile de prendre des initiatives et d’obtenir des responsabilités. Ceci dit, c'est une bonne formation pour faire ses armes dans l'asset management. On apprend beaucoup, puisque l'on voit passer de nombreux dossiers. Mais, assez rapidement, je me suis rendu compte que ça ne satisfaisait pas mes ambitions personnelles. En 2014, j'ai donc accepté une proposition de Procimmo, où j'ai commencé comme juriste et Compliance Officer pour la partie Suisse allemande. J'ai participé à la création du bureau de Zurich, et au lancement du fonds Procimmo Swiss Commercial Fund II. J’ai repris la responsabilité juridique de l’entreprise en 2016 et été nommé membre de la direction en 2017.

 

Rappelez-nous ce qu'est Procimmo ?

 

Procimmo est un gestionnaire de fonds de placement autorisé par la FINMA. Nous gérons actuellement six fonds de placement immobiliers, avec un peu plus 4 milliards sous gestion, dont les trois-quarts sont investis dans l’immobilier commercial, industriel, artisanat et logistique. Nous avons 4 fonds immobiliers cotés à la bourse de Zurich et deux fonds réservés aux investisseurs institutionnels. Nous gérons aussi un compartiment d’une fondation de placement sur laquelle nous communiquons peu. Il s'agit de l'expansion en Allemagne du concept Streetbox qui a fait ses preuves en Suisse.

 

Aujourd'hui vous êtes COO de Procimmo, ce qui signifie quoi,
concrètement ?

 

Ce poste a été créé il y a plus d’un an, en parallèle avec celui de CIO pour des raisons de gouvernance. Je suis responsable de la gestion des équipes opérationnelles. Concrètement je gère les occupations de l'entreprise au jour le jour et j’entretiens une relation privilégiée avec le CEO afin de transmettre des messages cohérents à nos équipes. Parallèlement, depuis le départ de notre CIO, j’ai repris sur une base ad intérim la responsabilité du département Fund Management.

 

En mai, le Procimmo Swiss Commercial Fund II est devenu un compartiment de la SICAV Procimmo Real Estate. Quelle est la raison de cette fusion ?

 

Nous avons décidé de les regrouper afin de pouvoir bénéficier de synergies et d’optimiser la gestion. Le regroupement des deux compartiments sera effectif à la fin octobre 2023, créant ainsi un des fonds les plus importants du marché, avec plus de 2 milliards de francs sous gestion. En fait, nous avons voulu anticiper des temps plus compliqués pour l'immobilier, où la taille devient un élément primordial, ce qui était d'ailleurs une demande de la part de nos investisseurs.

 

Ce n'est pas un constat d'échec ?

 

Au contraire, c'est une démonstration de notre agilité et de notre capacité à anticiper les challenges. Les deux fonds étaient performants, avec un portefeuille soigneusement sélectionné, de qualité, avec du potentiel, et un rendement qui reste supérieur à celui de la moyenne actuelle du marché.

 

Les actionnaires ne se sont pas opposés à cette fusion ?

 

Nous n'avons eu aucune opposition. Il faut savoir que plusieurs grands investisseurs étaient déjà simultanément investis dans les deux véhicules. Nous avons aussi beaucoup communiqué en amont, avant la fusion, pour expliquer la raison de cette opération, les synergies qui seront réalisées, les gains d'efficacité, respectivement la diversification du portefeuille. Autant d'éléments importants aujourd'hui pour les investisseurs, dans un marché immobilier qui est devenu plus compliqué.

 

Préalablement à cette fusion, vous avez également changé la société de direction de fonds de la SICAV Procimmo Real Estate. Pour quelle raison ?

 

Les raisons sont propres au Conseil d’administration de la SICAV qui a pris cette décision après mure réflexion et en prenons compte de tous les éléments du moment. Nous avions déjà changé de direction de fonds sur le Procimmo Swiss Commercial Fund 2 en passant de GAM à Solutions & Funds. Nous connaissions les avantages d’un tel changement et la procédure administrative à suivre.

 

Comment est-ce qu'on change de direction de fonds ?

 

La SICAV a procédé à un appel d'offre, qui a été remporté par Solutions & Funds, déjà responsable de plusieurs de nos fonds. Cette structure, qui a l’ambition d’être le leader en Suisse dans les services de direction de fonds pour clients tiers (Private Label), a prouvé qu'elle avait les compétences et la compétitivité nécessaire pour reprendre ce type de mandat. 

 

Ça veut dire quoi, « la compétitivité nécessaire » ?

 

La rémunération du gestionnaire et de la direction de fonds n'est pas un secret, puisqu'elle figure au bilan et qu'elle est indiquée dans l'annexe aux comptes. C'est un fee global, qui aujourd'hui, oscille entre 0,55 % et 0,65 % de la VNI.

 

Quels sont les critères pour choisir une nouvelle direction de fonds ?

 

Ce n'est d’abord pas une décision que l'on prend à la légère, d'autant plus que le changement doit être agréé par la FINMA. La direction de fonds doit pouvoir gérer un portefeuille diversifié en termes de typologie d'actif et de répartition géographique. Par exemple, sur un portefeuille global suisse, il est important qu'elle possède des bureaux en Suisse romande et en Suisse allemande. En outre, malgré son rôle limité à l’administration de fonds (vu que la gestion du portefeuille est déléguée au gestionnaire), il est important qu’elle dispose de connaissances spécifiques pour mieux répondre aux demandes de ses clients.

 

Comme tous les fonds immobiliers, vous avez pour ambition de croître.
Mais comment le faire dans le marché actuel, où les investisseurs institutionnels ne semblent pas vraiment intéressés par les nouvelles augmentations de capital ?

 

Nous suivons le marché de près, et nous discutons constamment avec nos investisseurs. Ceci dit, aujourd'hui, on ne peut plus se lancer dans une augmentation de capital si l'on n'est pas sûr à 100 % que l'on sera suivi par nos investisseurs. C'était différent avant, où l'on pouvait tabler sur le fait que les investisseurs allaient suivre. 

 

Donc, les augmentations de capital ne sont pas devenues impossibles dans le marché actuel ?

 

Impossible, non, mais clairement plus compliquées qu'avant. Il faut pouvoir profiter de la bonne fenêtre de tir au vu des nombreux changements économiques auxquels l’industrie fait face. Le timing et la communication jouent dès un rôle essentiel dans le succès d’une levée de fonds. Le rendement de distribution est clairement le ratio clé qui permet aujourd’hui de convaincre les investisseurs.

 

Et donc, dans ce contexte, comment croître ?

 

Nous mettons notre focus sur la croissance continue des revenus. Nous consacrons beaucoup d’énergie dans la commercialisation des surfaces vacantes et répercutons les hausses de loyer là où elles se justifient. Nous avons également commencé à nous séparer de quelques biens immobiliers qui n’entraient, de par leur petite taille, plus vraiment dans la stratégie. Avec les liquidités obtenues, nous réinvestissons dans des nouveaux biens ou dans des projets en cours de développement.

 

Vous avez notamment des fonds qui investissent dans l’immobilier commercial. Est-ce que cela intéresse toujours les investisseurs ?

 

Oui absolument les fonds immobiliers commerciaux représentent toujours une valeur sûre. Même si leur valeur boursière a sensiblement baissé ces derniers mois, ces fonds continueront de représenter une alternative d’investissement intéressante, surtout en ce moment. En effet, les hausses de taux d'intérêt ont déjà été anticipées par le marché, l'économie suisse est généralement solide et les dividendes sont distribués durablement à un niveau élevé, ce qui se traduit par des rendements des dividendes chez Procimmo de 4% et plus après impôts. A long terme, il faut s'attendre à des réévaluations en raison de l'augmentation de la population et de la raréfaction des terres et des ressources. Pour les familles, par exemple, qui souhaitent placer leur argent en toute sécurité, à long terme et avec des rendements intéressants, c'est une possibilité idéale. L'immobilier est aussi une excellente protection contre l'inflation.

 

À contrario, est-ce que ces disagios peuvent être incitatifs, pour quelqu'un qui voudrait rentrer dans le marché ?

 

Ça peut effectivement être une opportunité pour certains investisseurs. D'autant plus que nous sommes convaincus que la situation actuelle n'est que temporaire. Un jour ou l'autre, les disagios vont à nouveau redevenir des primes.

 

Vous n'allez donc pas changer de stratégie ?

 

Non, les portefeuilles sont constitués, et nous allons continuer à les gérer du mieux possible, en travaillant sur l'existant, en cherchant à développer le potentiel des immeubles et leurs revenus locatifs. C'est notre priorité. Pour cela, nous pouvons augmenter certains loyers et travailler pour faire baisser la vacance. En revanche, l’évolution du marché chalenge l’adéquation entre atteindre les objectifs de durabilité et garantir les rendements / dividende. Pour répondre à cela, Procimmo s’inscrit donc dans une démarche LowTech c’est-à-dire la mise en œuvre de solutions sobres, simples (donc pas cher) et durables. Ce choix est plus adapté au type d’asset à dominante industriel / artisanal managé par Procimmo.  Également, Procimmo favorise un accès à l’énergie le plus abordable possible pour les locataires afin de les pérenniser sur nos sites.  

 

Quels sont les projets de Procimmo pour les mois à venir ? 

 

Nous continuons de suivre la stratégique dictée par le groupe consistant à créer de manière durable de plus-value pour nos investisseurs. Les prochains mois seront intéressants à plusieurs titres ; nous sommes prêt à une reprise du marché et nous nous positionnerons probablement sur des nouvelles opportunités en Suisse mais aussi à l’étranger. Nous travaillons actuellement sur des projets qui vont nous permettre, dans ces temps difficiles, d'arriver avec des solutions innovantes pour convaincre les investisseurs de continuer à nous faire confiance.
 

Olivier Toublan, Immoday.ch