Une prime fascinante

04/06/2021

Brice Hoffer

UBS Asset Management

6 min

Les facteurs moteurs de l’agio des fonds immobiliers cotés suisses | White Paper


 

La logique de l’agio des fonds immobiliers suisses cotés suscite souvent des débats dans le monde des investisseurs. Dans ce document, nous examinons les différents facteurs internes et externes qui contribuent à une prime au-dessus de la valeur nette d’inventaire (VNI) dans cette classe d’actifs.

 

Une prime (globalement) rationelle


L’existence et la fluctuation de primes par rapport à la VNI dans le marché des fonds immobiliers suisses cotés s’expliquent par des caractéristiques concrètes des fonds et par des facteurs externes plus volatils. La fluctuation des agios peut certes susciter des considérations d’ajustements tactiques. Néanmoins, les investisseurs devraient plutôt se concentrer sur la qualité des revenus et le potentiel de diversification à long terme de leur allocation dans le secteur des fonds immobiliers suisses cotés.

 

Qu’est ce que l’agio?


Les fonds immobiliers suisses cotés se négocient rarement à un cours équivalant à la valeur nette d’inventaire (VNI) sous-jacente. En effet, cette classe d’actifs affiche généralement une prime (agio) et, dans de rares cas, une décote (disagio) par rapport à la VNI par part de fonds (voir figure 1). Au cours des dix dernières années, la prime moyenne sur l’ensemble du marché s’établissait à près de 25% de la VNI. Les fondamentaux de l’agio sont souvent source de questions dans le monde des investisseurs. Dans ce document, nous expliquons que des caractéristiques concrètes des fonds ainsi que certains facteurs externes plus volatils peuvent justifier un prime par rapport à la VNI dans le marché des fonds immobiliers suisses cotés.

Il est difficile d’isoler la contribution d’une seule variable dans la dynamique de l’agio, dans la mesure où une forte corrélation croisée existe entre les facteurs en présence, comme par exemple le millésime, la taille, la liquidité, le nivea de diversification et le montant des impôts différés d’un fonds De plus, le nombre de fonds immobiliers suisses cotés disposant d’une longue série de données est plutôt limité. De ce fait, nous ne tirerons ici aucune conclusion d’ordre statistique. Nous nous attacherons plutôt à expliquer l’existence et la variation de l’agio en nous basant sur des observations empiriques et une logique économique.
 

Impôts différés : une contribution tangible


L’impôt différé sur les plus-values constitue sans doute l’un des contributeurs les plus évidents à l’existence des agios sur le marché suisse des fonds immobiliers cotés. Sur la durée de vie d’un fonds immobilier, la valeur du capital augmente progressivement, si bien qu’en cas de liquidation du fonds, les prélèvements fiscaux sur les plus-values peuvent être conséquents. Cet aspect constitue ainsi une position de coûts dans le calcul de la VNI (voir figure 1).

Les fonds immobiliers «buy-to-hold» (acheter et conserver) étant généralement établis selon une approche de continuité de l’exploitation (autrement dit selon l’hypothèse d’une activité appelée à se poursuivre dans un avenir prévisible), le fait de soustraire de la VNI l’impôt différé sur les plus-values peut légitimement susciter des interrogations. En effet, si l’on considère qu’un fonds n’est pas appelé à être liquidé, l’impôt différé sur les plus-values peut être considéré comme un coût fictif, dont le montant devrait être réintégré dans la VNI. En moyenne, l’impôt différé sur les plus-values représente environ 7% de la VNI sur le marché suisse. Il peut cependant dépasser les 10% de la VNI pour les fonds lancés il y a plusieurs décennies ou pour ceux investis dans des biens immobiliers ayant connu une appréciation importante et rapide (voir figure 2).

Structure du portefeuille et du fonds : source de valeur ajoutée


Une fois regroupés au sein d’un portefeuille d’une certaine taille, les biens immobiliers offrent une meilleure diversification que des investissements isolés. Grâce à l’exposition à un grand nombre d’objets, de locataires et, bien souvent, de secteurs, la structure du portefeuille permet de réduire l’exposition aux risques de défaut de paiement des locataires et aux risques liés à une propriété spécifique. Cet avantage peut justifier une prime par rapport à la VNI, dans la mesure où la valeur globale du portefeuille immobilier est supérieure à la somme des valeurs des biens immobiliers individuels détenus par le fonds.

En outre, les parts des fonds cotés peuvent être négociées efficacement et en toute simplicité, contrairement aux placements immobiliers directs plus illiquides. De fait, les transactions immobilières directes exigent du temps, la présence d’un vendeur et d’un acheteur tous deux disposés à conclure la transaction, et des compétences particulières pour procéder à la due diligence nécessaire et gérer les questions juridiques et financières. A l’inverse, les parts de fonds cotés peuvent être acquises en bourse en quelques clics, avec différents niveaux de liquidité selon la taille du fonds et le volume de négoce journalier moyen. Bien qu’il soit en partie grevé par les commissions, cet avantage peut justifier une prime sur la VNI par rapport aux investissements immobiliers directs.

Par ailleurs, les caractéristiques spécifiques d’un portefeuille, telles que la qualité des immeubles, leur emplacement ou la solvabilité des locataires, peuvent justifier des différences d’agios au sein de l’univers des fonds immobiliers cotés. Ces facteurs ont un impact direct sur le potentiel de performance et le niveau de risque d’un fonds. Ces caractéristiques sont certes prises en compte dans l’évaluation des biens immobiliers. Toutefois, selon leur sentiment, les acteurs du marché peuvent les survaloriser ou les sous-valoriser, menant ainsi à une prime ou à une décote. De la même manière, la perception des compétences d’un gestionnaire d’investissement peut influencer le prix des parts d’un fonds coté et, ainsi, le niveau de l’agio du fonds en question.
 

Influence des fondamentaux macroéconomiques et de la situation du marché locatif


Outre les caractéristiques internes d’un fonds plutôt stables, des facteurs externes plus volatils sont aussi susceptibles d’influencer la dynamique des agios des fonds immobiliers cotés. Les taux d’intérêt ont un impact décisif sur les fondamentaux du marché des placements immobiliers (coûts de financement, taux d’actualisation pour l’évaluation) ainsi que sur les alternatives de placement (rendements du marché obligataire, taux sans risque). Comme le montre la figure 3, dans les périodes de baisse des taux d’intérêt, le niveau de l’agio tend à augmenter, et inversement lorsque les rendements sont à la hausse.

La situation du marché locatif (taux de vacance, perspectives de croissance des loyers) peut également influencer le niveau de l’agio. Sur le long terme, une détérioration ou une amélioration des perspectives du marché locatif peut avoir un impact sur la valeur des immeubles et la VNI des fonds immobiliers. Or, le marché boursier a tendance à répercuter les changements de fondamentaux bien plus rapidement que les experts en valorisation immobilière. Et, selon le sentiment qui domine, les actions des investisseurs peuvent exagérer momentanément la tendance haussière ou baissière des prix.

Il peut en résulter des différences d’agios significatives selon la spécialisation du fonds. En effet, les investisseurs peuvent être disposés à payer une prime pour les secteurs et régions offrant les meilleures perspectives sur le marché locatif et, à l’inverse, pénaliser les fonds exposés à des marchés en difficulté. Ainsi, les fonds investissant exclusivement dans le secteur résidentiel et les véhicules de placement mettant l’accent sur la région lémanique en forte croissance ont, dans un passé récent, affiché un agio supérieur à la moyenne.
 

Stratégie de long terme : focus sur la solidité du rendement de distribution et le potentiel de diversification


Comme nous venons de le voir, de nombreux facteurs peuvent justifier une prime au-dessus de la VNI sur le marché suisse des fonds immobiliers cotés. Certains de ces facteurs, relativement stables, sont liés aux caractéristiques propres d’un fonds donné. D’autres, plus volatils, sont influencés par l’environnement externe et le sentiment des investisseurs (voir figure 4).

Ces facteurs plus volatils sont davantage susceptibles de mener à des fluctuations cycliques de l’agio qui pourraient motiver des ajustements tactiques. Toutefois, dans la pratique, prévoir le niveau futur de l’agio est une science incertaine, exposée à des variations inattendues du marché. De plus, les coûts de transaction peuvent grever la performance effective.

Par ailleurs, parmi les principaux avantages d’une allocation dans les fonds immobiliers suisses cotés figurent la faible corrélation de la performance avec les classes d’actifs traditionnelles, ainsi que la stabilité des revenus locatifs générés par les biens immobiliers sous-jacents. Ces éléments contribuent à la diversification et à la stabilité d’un portefeuille multi-actifs.

Selon nous, les investisseurs à long terme devraient se concentrer sur la qualité de ces atouts plutôt que de procéder à des ajustements tactiques en fonction des variations à court terme de l’agio. En effet, le niveau de diversification et la qualité du rendement de distribution sont les principaux moteurs d’une robuste performance corrigée du risque pour une allocation à long terme sur le marché de l’immobilier suisse coté.

Outre la structure des produits dans lesquels l’investissement est effectué, des facteurs qualitatifs importants, tels que la qualité du gestionnaire d’investissement et sa capacité à adopter des tendances structurelles majeures (numérisation, aspects ESG), doivent également être pris en considération. Ces éléments sont, selon nous, des catalyseurs essentiels afin de délivrer de solides rendements sur distribution et une valorisation du portefeuille résiliente sur le long terme.
 

La faible corrélation de la performance avec les classes d’actifs traditionnelles et la stabilité du rendement de distribution sont les atouts majeurs de l’immobilier suisse coté.


 

UBS Asset Management


Real Estate & Private Markets (REPM) Research & Strategy – DACH
 
 

Brice Hoffer


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